L’ex-plume d’El Khomri : « On disait "tu travailles pour la ministre du 49-3" »

, par Michel DECAYEUX

4 mai le Parisien Dans une interview exclusive, Pierre Jacquemain, ancien conseiller de Myriam El Khomri, affirme que Manuel Valls est prêt à recourir à l’article 49-3 de la Constitution pour imposer la loi Travail à l’Assemblée.

Veste pied-de-poule beige, trentaine souriante, Pierre Jacquemain s’attable avec un cahier bleu nuit sous le bras. « Réflexe de cabinet : je prends des notes ! » C’était un « proche » de Myriam El Khomri, un « ami », son conseiller, sa plume ministérielle, chargé notamment de la réforme du travail.

Une rencontre de longue date nouée dans les années Delanoë (en 2005) à la mairie de Paris. Un « atypique » qu’elle emmène comme conseiller lorsqu’elle devient ministre de la Ville (2014) puis au Travail le 2 septembre 2015. Lui comme elle, affirme-t-il, ignoraient qu’il faudrait porter une réforme essentiellement écrite par Matignon. Loin de la feuille de route d’origine tracée par François Hollande, plus orientée à gauche.

Pris entre « deux loyautés », celle à sa ministre et celle à ses idées, il choisit « ses idées bourdieusiennes ». Et, le 1er mars dernier, il claque la porte. Démission avec fracas commentée dans les médias. Pour désaccord avec un projet de loi sur la réforme du Code du travail « droitier » et « l’autoritarisme de Matignon prêt depuis la première heure au 49-3 ». Il raconte les coulisses de la Rue de Grenelle où le spectre du 49-3 a, depuis janvier, selon lui, toujours plané...

L’utilisation du 49-3 a-t-elle été envisagée avant la divulgation du projet de loi Travail, le 17 février ?

PIERRE JACQUEMAIN. Dès le moment où le gouvernement a décidé de construire un texte particulièrement libéral et droitier, qui renonce aux fondamentaux de la gauche, ce scénario était sur la table. Manuel Valls savait qu’il n’aurait pas de majorité sur ce texte. Et il n’a d’ailleurs jamais cherché à obtenir une majorité de gauche. La seule solution était alors d’utiliser le 49-3. Depuis janvier, le véritable instigateur du projet de loi actuel s’appelle Manuel Valls.

Myriam El Khomri s’en défend et répète : « C’est ma loi »...

Sa feuille de route de départ, fixée par le président François Hollande, n’était pas celle qui crée aujourd’hui autant de crispations. Ce projet de loi devait incarner un tournant social du quinquennat et reposait principalement sur le compte personnel d’activité. Je me souviens d’un retour de réunion à l’Elysée fin janvier. Myriam avait gagné contre Macron les arbitrages sur les licenciements économiques et le plafonnement des indemnités prud’homales, qui ne devaient pas figurer dans le projet de loi. Elle disait à ce moment-là : « Il n’est pas possible que je porte une réforme de gauche si de l’autre côté vous m’imposez le licenciement économique et le barème prud’homal. » Trois semaines plus tard, on lui impose un projet de loi qui tourne le dos aux idéaux de la gauche et fait table rase des réunions de concertation qu’elle avait menées avec les partenaires sociaux.

Quand exactement Matignon prend-il les rênes ?

Cette prise en main du discours de la ministre intervient lors de son interview aux « Echos » le 18 février. Elle y expliquait qu’elle ne souhaitait pas recourir au 49-3, qu’elle croyait au débat parlementaire. Lors de la relecture de cette interview avant parution par Matignon, ce passage avait été réécrit. C’était une autre ligne. Matignon avait corrigé : « Nous prendrons nos responsabilités. » Sous-entendu, le recours au 49-3 était clairement affiché. C’est un fait marquant. J’étais la plume de la ministre mais, ce jour-là, c’est la plume de Matignon qui l’a emporté, contre l’avis de l’Elysée d’ailleurs. La ministre a longtemps cru qu’elle était à la manœuvre sur ce projet de loi. Mais, entre conseillers, et même entre ministres, pour avoir eu des échanges avec certains, les gens plaisantaient. On me disait : « Tu travailles pour la ministre du 49-3. »

On vous a suspecté d’avoir fait fuité le texte dans la presse...

Myriam El Khomri a eu l’honnêteté de dire que je ne pouvais pas être celui-là. Moi comme d’autres conseillers n’étions même pas informés de ce qui est sorti dans vos colonnes.

On vous a accusé aussi de trahison, d’avoir manqué de loyauté.

Ce n’est pas moi qui ait été déloyal, ce sont eux qui ont trahi ce pour quoi ils ont été élus. Et ce pour quoi je me suis engagé auprès de Myriam El Khomri. En général un conseiller ça ferme sa gueule comme les ministres. On me l’a reproché. J’ai décidé de partir sur un désaccord politique. Aujourd’hui je reprends ma liberté de parole. On vous voit à Nuit debout. Etes-vous un militant ?

Je n’ai jamais milité dans aucun parti politique. Je n’ai de carte nulle part. J’ai mes convictions que je partageais, pour beaucoup, avec la ministre du Travail. Quand j’ai fait le choix de la suivre, nous avions fait ce pari ensemble de porter une voix différente, profondément de gauche, devant le parti pris très libéral du chef du gouvernement, désormais ringardisé par son ministre de l’Economie, Emmanuel Macron.