Comment l’économie française s’est transformée en trente ans

, par Michel DECAYEUX

L’Expansion. le 29/01/2014

L’Insee publie ce mercredi un dossier intitulé "Trente ans de vie économique et sociale", qui passe au crible les bouleversements majeurs de la société française. Ce qu’il faut en retenir. Faiblissement de la croissance, diminution du poids de l’agriculture et de l’industrie, détérioration continue des finances publiques, ouverture à l’international, précarisation du marché du travail... L’économie française a connu de profonds bouleversement depuis les chocs pétroliers des années 1970.

Croissance du PIB tendanciellement plus faible

Le premier choc pétrolier a marqué la fin d’une période de forte croissance baptisée les Trente Glorieuses. Alors que la France connaissait une croissance moyenne de 5,3% par an entre 1949 et 1974, le rythme de progression du PIB en volume a nettement baissé par la suite : entre 1974 et 2007, la croissance ne s’élevait qu’à 2,2% par an en moyenne. Cette évolution est liée au fort ralentissement de la productivité horaire du travail : le volume d’heures travaillées a baissé de 7% entre 1949 et 2012 (augmentation du nombre de semaines de congés, baisse de la durée légale du travail hebdomadaire, essor du temps partiel). Entre 2007 et 2012, années marquées par une récession d’ampleur sans précédent, la croissance annuelle moyenne du PIB est proche de zéro. La croissance potentielle de la France est désormais estimée à 1%, voire 1,5%.

Tertiarisation de l’économie

L’évolution la plus marquante de la structure de l’économie française est la chute brutale du poids de l’agriculture dans la valeur ajoutée totale : de 18% en 1949 à 10% au début des années 1960, il oscille aujourd’hui entre 1,5 et 2%. La désindustrialisation s’amorce dans les années 1960 et s’amplifie dans les années 1980. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée est ainsi passée de 25% en 1960 à 10% aujourd’hui. Cette baisse a pour corolaire une croissance continue de la part des services marchands, qui passe de 35% au début des années 1950 à plus de 50% aujourd’hui. La montée en puissance de d’internet est à l’origine d’une nouvelle économie numérique. L’emploi dans les activités informatiques a été multiplié par trois en 30 ans. Un Français sur trois achète aujourd’hui en ligne. Enfin, l’emploi plublic représente depuis le milieu des années 1980 environ 20% de la valeur ajoutée totale, contre 12% au début des années 1950.

Maintien du taux de marge des entreprises

Relativement stable aux alentours de 28 % pendant les années 1950 et 1960, le taux de marge des sociétés non financières a brutalement chuté au début des années 1970 lors du premier choc pétrolier alors que les salaires sont indexés sur l’inflation, atteignant un plancher à 23% en 1982. Le taux de marge s’est ensuite redressé fortement, à la faveur d’une politique de désinflation compétitive puis du contrechoc pétrolier de 1986, pour atteindre 32% en 1989. Il est ensuite relativement stable jusqu’en 2007, avant de diminuer d’un peu plus de trois points avec la crise de 2009. Il s’établit à 28,4% en 2012. Le taux d’autofinancement enregistre des fluctuations beaucoup plus marquées : après une forte baisse lors des deux chocs pétroliers, il passe entre 1981 et 1986 de 27% à 80%, pour atteindre des niveaux voisins de 100% à la fin des années 1990 dans un contexte de taux d’intérêt réels élevés. Il diminue ensuite progressivement au cours des années 2000. Il baisse plus fortement après la récession de 2008-2009, les entreprises ayant globalement maintenu leur effort d’investissement malgré la contraction de leurs marges. Le taux d’autofinancement des SNF s’établit en 2012 à 66%. Baisse de la part des salaires dans le revenu disponible des ménages

La part de l’ensemble des revenus d’activité (salariaux et non salariaux, nets de cotisations sociales) dans le revenu disponible brut des ménages a sensiblement décru, passant de plus de 80% au début des années 1950 à 58,6% en 2012. Cette baisse a pour corollaire une forte poussée de la part des prestations sociales en espèces (indemnités journalières maladie, prestations familiales, pensions de retraite, allocations chômage et minima sociaux) dans le revenu disponible brut (33,2% en 2012 contre 13,5%en 1949) qui traduit à la montée en charge du système de protection sociale. La part des revenus tirés des logements (loyers perçus par les propriétaires bailleurs mais aussi loyers imputés aux ménages propriétaires de leur logement) dns le RDB a triplé entre 1949 (4%) et 2012 (12%) sous l’effet de la hausse des prix de l’immobilier. La part des autres revenus de la propriété (intérêts, dividendes, revenus des placements d’assurance-vie, etc.) a quant à elle doublé, passant de 4,9%du RDB en 1949 à 9,9% en 2012.

Croissance ralentie du pouvoir d’achat

Le pouvoir d’achat des ménages calculé par unité de consommation (UC), a augmenté presque chaque année depuis 60 ans, les seules exceptions significatives portant sur les années 1983 (-1%), 1984 (-1,9%) et 2012 (-1,5%). Très dynamique au cours des Trente glorieuses (+4,4% en moyenne par an au cours des années 1960), le pouvoir d’achat des ménages a ensuite pâti fortement du ralentissement des gains de productivité horaire. Il stagne en moyenne sur les dernières années, marquées par la récession de 2009.

Détérioration continue du solde des finances publiques

Les comptes publics sont excédentaires ou proches de l’équilibre jusqu’en 1974. Depuis, le solde est systématiquement négatif. Le premier déficit public significatif apparaît en 1975. Il résulte des diverses mesures de relance décidées par le gouvernement après le premier choc pétrolier, ainsi que de l’impact de la récession sur les rentrées fiscales. A partir de 1981 et jusqu’en 1997, le solde primaire (hors intérêts de la dette) est systématiquement négatif. Cela entraîne une forte croissance de la dette et des charges d’intérêt. L’accroissement du déficit primaire jusqu’à 3,8% du PIB lors de la récession de 1993, cumulé avec les charges d’intérêt, porte le déficit public total à 6,5% du PIB cette année-là. Le redressement du solde primaire est ensuite ininterrompu entre 1993 et 2000 avec les mesures d’amélioration des finances publiques destinées à satisfaire les critères de Maastricht, puis l’amélioration de la conjoncture. Toutefois, le poids de la dette est devenu tel que, malgré quatre années successives d’excédent primaire (de 1998 à 2001), le déficit total des administrations publiques ne descend jamais en dessous de 1,5% du PIB. À partir de 2002, le solde primaire n’est plus jamais positif et le déficit total oscille entre 2% et 4% du PIB au cours des années 2002 à 2008. La crise financière intervenue courant 2008 et la récession sans précédent qui s’ensuit mettent fin à cette relative stabilité et creusent très profondément le déficit qui excède 7% du PIB en 2009 et 2010. Les mesures de redressement des finances publiques mises en oeuvre à partir de 2011 ont permis de résorber ce déficit, à 4,1% du PIB fin 2013. La dette, elle, continue de grimper : de 64,2% du PIB fin 2008, elle devrait atteindre 95% fin 2014.

Hausse des prélèvements obligatoires

Alors qu’il était stabilisé à 34% du PIB au cours des quinze années qui ont précédé le premier choc pétrolier, le taux des prélèvements obligatoires a augmenté de près de dix points au cours des dix années suivantes pour financer des dépenses publiques en forte hausse. Après une deuxième phase de relative stabilité entre 1984 et 1992, il amorce une nouvelle hausse en 1993 et atteint un maximum de 44,9% du PIB en 1999. Il se stabilise ensuite aux abords de 44% du PIB avant d’enregistrer une baisse sensible en 2009 (42,1%). Il remonte ensuite nettement à partir de 2011 avec les mesures de consolidation des finances publiques, pour atteindre 45% du PIB en 2012, et 46% en 2013.

Déséquilibre croissant du commerce extérieur

En soixante ans, la part des échanges extérieurs dans le PIB a fortement progressé, illustrant l’ouverture internationale accrue de la France dans un contexte d’essor du commerce mondial. Inférieure à 15% du PIB jusqu’à la fin des années 1960, la part des exportations comme des importations représente systématiquement plus du quart du PIB à partir du début des années 2000. La contraction brutale du commerce mondial lors de la récession de 2008-2009 se lit dans les échanges de la France dont la part dans le PIB chute de plus de trois points entre 2008 et 2009. Mais dès 2011, le poids des exportations et des importations dans le PIB retrouve son niveau d’avant la crise. Les évolutions du solde commercial de la France sont beaucoup plus irrégulières. Systématiquement excédentaire au cours des années 1960, il fléchit brutalement après le second choc pétrolier pour afficher de 1980 à 1982 un déficit de l’ordre de 2% du PIB. Il se redresse ensuite progressivement et la France affiche du début des années 1990 jusqu’en 2003 un solide excédent commercial (jusqu’à 2,7% du PIB en 1997). Il se dégrade ensuite rapidement et le déficit commercial excède systématiquement 1,5% du PIB à partir de 2007. Alors que les récessions de 1975 et 1993 avaient coïncidé avec un redressement du solde commercial (la chute de la demande intérieure entraînant celle des importations), celle de 2009 fait exception car la crise est mondiale.

Hausse de la population active, place aux femmes et aux diplômés

En 2012, la France compte 6,2 millions d’actifs de plus qu’en 1975 ayant entre 15 et 64 ans. La population des personnes de 15 à 64 ans a progressé de 32,2 à 40,0 millions et leur taux d’activité est passé de 69% à 71%. Cependant, cette évolution globale masque de fortes disparités selon le sexe et l’âge. Le taux d’activité des femmes de 15 à 64 ans est passé de 53% en 1975 à 67% en 2012, alors que celui des hommes chutait de 84% à 75%. Les femmes représentent en 2012 presque la moitié des actifs contre 39% en 1975. Le taux d’activité des 15-24 ans a d’abord baissé sous l’effet de la démocratisation scolaire, avant de se stabiliser au milieu des années 1990, voire de légèrement remonter. L’activité des personnes de 50 à 64 ans a reculé durant les années 1980, du fait de l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans et des possibilités accrues de départ en préretraite ou d’autres dispositifs de cessation d’activité, mais remonte depuis le milieu des années 1990. Depuis 1982 la part des très qualifiés progresse régulièrement (passant de 39% à 50%). Obtention d’un emploi et niveau de diplôme élevé apparaissent de plus en plus liés.

Précarisation du marché du travail

Le travail à temps partiel s’est fortement développé, surtout pour les femmes. Parmi celles qui travaillent, 30% sont à temps partiel en 2012 contre 16% en 1975. Près d’une femme à temps partiel sur trois souhaiterait travailler plus. Les contrats de travail temporaire sont de plus en plus nombreux, tout particulièrement chez les jeunes. Ainsi, en 2012, 52% des salariés de 15 à 24 ans sont en CDD, en intérim ou en apprentissage. Ils étaient 18% en 1982. Chez les plus de 25 ans, le travail en CDD et en intérim s’est aussi accru mais dans des proportions moindres. La part des CDD (et contrats saisonniers) parmi les salariés de 25 ans et plus est ainsi passée de 3% au milieu des années 1980 à 7% au milieu des années 1990. Elle oscille depuis entre 7 et 8%.

Inégalités face au chômage

De 1975 à 2012, le chômage a connu deux phases distinctes : dix années de hausse tendancielle ininterrompue et, depuis, des fluctuations au gré de la conjoncture économique, mais à un niveau qui se maintient entre 7,5% et 10,5%. Ceci est le signe d’une forte accentuation du chômage structurel par rapport aux Trente Glorieuses. Si les taux de chômage masculin et féminin se rapprochent, les différences par âge sont de plus en plus marquées. Le taux de chômage des 15-24 ans est ainsi passé de 6,8 % en 1975 à 23,9 % en 2012. Depuis 1982, ce taux n’est jamais retombé en dessous de 15 %.

Les inégalités ne sont pas seulement liées à l’âge, mais aussi au diplôme et à la catégorie socioprofessionnelle. Parmi les personnes de 25 à 49 ans, le taux d’emploi de celles ayant un diplôme de niveau bac+2 est le plus élevé et augmente tendanciellement depuis 30 ans. À l’inverse, celui des personnes sans diplôme ou avec le certificat d’études est le plus faible. Plus récemment, depuis le début de la crise en 2008, la baisse du taux d’emploi des moins diplômés s’est accentuée. Le taux de chômage des cadres en 2012 est le même qu’au milieu des années 1980, tandis qu’il a légèrement augmenté pour les professions intermédiaires. Les ouvriers qualifiés et les employés ont des taux de chômage plus élevés et plus volatils. Celui des ouvriers non-qualifiés est le plus élevé et suit une nette tendance à la hausse.