La CFDT dans la continuité du réformisme

, par udfo60

L’Humanité - 16/07/2012

LE RÉFORMISME ASSUMÉ DE LA CFDT : ENQUÊTE AUPRÈS DES ADHÉRENTS, de Martine Barthélemy, Claude Dargent, Guy Groux, Henri Rey,

LE RÉFORMISME ASSUMÉ DE LA CFDT : ENQUÊTE AUPRÈS DES ADHÉRENTS, de Martine Barthélemy, Claude Dargent, Guy Groux, Henri Rey, Presses de Sciences-Po, 2012, 22 euros.

La CFDT est sans nul doute le syndicat qui suscite les opinions les plus tranchées. Trop conciliant, voire porté à la compromission pour certains, il est pour d’autres un partenaire raisonnable, pilier de la négociation collective. Loin des jugements de valeur, cette enquête du Centre de recherches politiques de Sciences-Po auprès de militants et d’adhérents éclaire la substance de la confédération née en 1964 de la scission de la CFTC.

Le titre en résume la thèse centrale : « le réformisme assumé ». Il signifie d’abord que la société est prise telle qu’elle est, sans prétendre la jeter bas : le marché comme principe d’organisation de l’économie est massivement admis par les cédétistes. Ensuite, la négociation systématique et la recherche d’un accord sont préférées au conflit, l’action juridique et la discussion étant jugées plus efficientes que la grève, même si celle-ci n’est pas écartée du répertoire militant. Ce réformisme induit enfin, dans sa quête d’impartialité, une prise de distance vis-à-vis du champ politique institutionnel.

Cette CFDT d’aujourd’hui est-elle en rupture avec ses années de jeunesse, celles de l’autogestion ? À la différence des interprétations courantes, qui distinguent un moment de radicalité suivi d’un processus de recentrage poussé jusqu’à une posture gestionnaire, Guy Groux défend la thèse convaincante selon laquelle le réformisme et le pragmatisme de la CFDT sont le fil rouge de son histoire. Sur la longue durée, les années 1968 n’ont donc été qu’une « parenthèse » et la « radicalité » d’alors, une sorte de trompe-l’œil. À commencer par la référence à l’autogestion : si elle renvoie une image contestataire, elle sert en fait à offrir à la CFDT une « apparente cohésion idéologique et programmatique », son contenu reposant sur le catholicisme social et une « vision moderniste du capitalisme ».

La tendance structurelle au réformisme a gagné en homogénéité depuis vingt-cinq ans, avec les départs des militants critiques. Cet « unanimisme « , comme le nomme Martine Barthélemy, peut « conduire à un affaiblissement des capacités de réflexion collective de l’organisation... ». _ Ajoutons qu’il est aussi permis de s’interroger sur la pertinence de la recherche invariable du compromis, en phase de délitement des droits sociaux, à laquelle se surajoute une conjoncture de crise dont l’instrumentalisation peut pousser encore l’avantage des contempteurs des protections collectives. Dès lors, le risque est grand de légitimer des transactions qui, au nom d’une préservation partielle de la condition salariale, actent d’abord volontiers son amputation. Cela revient, au fond, à reposer la problématique qui parcourt l’histoire du syndicalisme : comment tenir l’équilibre entre sa dimension de contre-pouvoir et sa fonction d’administrateur de la question sociale ?

Cet ouvrage, utile à tous ceux qui veulent comprendre la complexité de notre paysage syndical, est une précieuse contribution à des débats majeurs.

STÉPHANE SIROT, HISTORIEN