La « règle d’or » ne constitue pas une arme imparable contre les déficits

, par Michel DECAYEUX

18.08 les échos

Nombre de pays ont adopté des « règles d’or » censées empêcher tout déficit public. Pour les contourner le plus souvent. En théorie, elle est implacable. La « règle d’or » qu’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy rêveraient de voir adoptée par les 17 pays de la zone euro interdit tout déficit du budget public. Et, dès lors qu’elle est inscrite dans la Constitution, cette règle s’impose aux parlementaires tentés d’y faire entorse. En pratique, c’est plus compliqué. Les Etats qui en ont adopté rechignaient en fait à se couler dans un tel corset. Ils ont prévu des clauses permettant d’invoquer des circonstances conjoncturelles exceptionnelles pour autoriser des relances keynésiennes (qui ont généralement augmenté l’endettement à moyen terme) ou ont exonéré le financement des investissements d’avenir. Du coup, les circonstances « exceptionnelles » sont devenues la norme et des dépenses ordinaires, telles que les salaires des enseignants, ont été reclassifiées en « investissements ». Les Etats ont aussi contourné leurs propres règles en jouant sur le calcul de l’amortissement de ces investissements, selon l’institut allemand IFO.

La Constitution allemande de 1949 interdisait ainsi tout déficit structurel, ce qui n’a pas empêché le budget d’être en déficit une quinzaine de fois depuis 1973 et la dette publique d’atteindre 80 % du PIB. Les investissements avaient bon dos. L’Allemagne a donc durci son dispositif en 2009 en plafonnant le déficit à 0,35 % du PIB à partir de 2016. Mais elle autorise un dépassement « e n situation d’urgence ». C’est d’ailleurs en invoquant « urgence » et « crise » que les pays européens ayant instauré « règles d’or » ou mécanismes assimilés (sans toutefois les inscrire dans leur Constitution) les ont abandonnés, à l’instar des Pays-Bas dès les années 1960 ou, après la crise de 2008, de la Finlande, la Lituanie, l’Espagne, l’Estonie, la Hongrie (cette dernière avait instauré sa « règle d’or » à l’orée de la crise...).

Gordon Brown, chancelier de l’Echiquier britannique, avait fait adopter en 1997 une « règle d’or » non pas sur un an mais sur la durée d’un « cycle conjoncturel » : des déficits étaient autorisés à condition d’être compensés ensuite par des excédents, conformément aux théories de Keynes. Problème : il est impossible de connaître la durée d’un cycle conjoncturel quand il débute. La dette publique britannique a donc explosé.

Le Fonds monétaire international (FMI), qui recense des règles de frein au déficit dans 80 pays aujourd’hui, contre 7 en 1990, estime, au vu de 24 exemples depuis 1980, que les règles fiscales ont « joué un rôle positif » dans les programmes d’ajustements via une baisse nette du ratio dette sur PIB. Notamment en Australie, au Canada et en Nouvelle-Zélande, qui ont adopté des lois-cadres de rééquilibrage plutôt que des « règles d’or » stricto sensu. Les « règles d’or » constitutionnelles restent rares... mais associées à deux des succès les plus spectaculaires, la Suède et la Pologne.. . La « règle d’or » fait toutefois débat pour une autre raison : puisqu’elle contraint fortement les lois de Finances votées par les députés, elle réduit la souveraineté du peuple. Or, historiquement, la démocratie est liée au droit de regard sur le budget de l’Etat (« no taxation without representation »). Les supporters de la « règle d’or » font, eux, valoir qu’en stoppant la spirale de la dette elle défend les intérêts des électeurs à naître, dans l’impossibilité aujourd’hui de donner leur avis.

Quatre siècles après, le Diable rouge ressurgit