Irlande : après les Grecs, les Irlandais expérimentent la volonté de Bruxelles d’être plus directive sur les réformes du marché du travail au nom de la stabilité économique et financière

, par Michel DECAYEUX

Planet Labor, 6 décembre 2010

Dans le cadre de l’aide de 67,5 milliards d’euros de l’Union européenne et du FMI, nécessaire pour stabiliser l’économie irlandaise (aide à laquelle le gouvernement va ajouter 17,5 milliards supplémentaires provenant du fonds de pension nationaux), le gouvernement a accepté une série de mesures qui ont une influence directe sur le marché du travail, principalement les salaires et la négociation collective. Les conditions, définies dans un protocole d’accord engageant l’Irlande, le FMI, et l’UE, établissent la programmation des réformes sur une base trimestrielle jusque fin 2013.

Les syndicats dénoncent une intervention qui va bien au-delà de ce qui est nécessaire pour rétablir l’équilibre des finances publiques.

L’État irlandais est lié. Le gouvernement a déjà annoncé certains de ces changements, imposés par un protocole d’accord conclu avec le Fonds monétaire international (FMI) et l’Union européenne en contrepartie du soutien financier, dans un programme de redressement national sur 4 ans publié la semaine dernière. Les irlandais se rendront aux urnes début 2011 et il est fort probable que le gouvernement actuel essuiera une défaite majeure. La marge de manœuvre du nouveau gouvernement sera vraisemblablement très réduite.

Un suivi trimestre par trimestre. En mars, juin, septembre et décembre des trois années à venir, le gouvernement sera évalué par les institutions qui interviennent dans le sauvetage – la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI – sur son respect des objectifs définis pour les trois mois précédents. Si les engagements pris ne sont pas respectés, « des mesures supplémentaires seront définies », prévoit l’accord. La libération de fonds pour couvrir les dépenses publiques sur les trois mois suivants dépendra de l’atteinte des objectifs et de la prise de mesures supplémentaires, si elles sont jugées nécessaires.

Réduction du salaire minimum et révision des accords collectifs sectoriels. Dans le cadre de cette aide, le gouvernement doit réduire le salaire minimum d’un million d’ici mai 2011 – pour une baisse de 11,7% — et il y aura une réduction des dépenses sur les aides versées aux chômeurs, d’un montant de 750 millions d’euros en 2011 (sur des dépenses sociales totales estimées à 20,9 milliards en 2010). Actuellement, le salaire minimum irlandais est de 8,65 euros, le deuxième plus élevé en Europe dans l’absolu et le sixième en termes de pouvoir d’achat. Non seulement le salaire minimum va être diminué, mais les employeurs vont se voir accorder plus de facilités pour plaider « l’incapacité de payer » ces taux réduits. D’ici fin mars, les accords salariaux sectoriels (connus sous le nom de ERO et REA) seront révisés, sous surveillance de la Commission européenne. « Les termes et conditions (de cette révision) doivent être acceptés par les services de la Commission européenne », précise le protocole d’accord.

Ceci sous-entend que l’UE et le FMI vont insister pour que cette révision se fasse, quel que soit le gouvernement qui prendra le pouvoir d’ici Pâques 2011. Les ERO et REA prévoient, en général, des niveaux de salaires et des conditions de travail plus élevés (par exemple les taux pour les heures supplémentaires le dimanche) que ceux du salaire minimum. En même temps que le salaire minimum, les ERO et REA établissent les taux de rémunération minima légalement contraignants et empêchant la concurrence étrangère d’offrir des taux plus bas dans des secteurs comme l’hôtellerie et le bâtiment. Le salaire minimum et les accords ERO et REA garantissent aux travailleurs irlandais la protection juridique « Laval » (en référence au jugement rendu dans l’affaire du même nom par la CJUE et dans laquelle elle a déclaré que seuls les salaires minima et conditions de travail locaux peuvent être appliqués pour les salariés étrangers « postés » dans un pays). A la suite d’une injonction de la Commission européenne et du FMI, les travailleurs irlandais pourraient être privés de cette protection. Le gouvernement sera également forcé de changer la structure du système des allocations chômage en 2011. Selon l’accord, les allocations seraient automatiquement réduites après un certain temps pour « inciter à quitter le chômage plus tôt ». Les rémunérations dans la fonction publique seront également sous surveillance.

Réactions des syndicats. Pour une majorité de syndicalistes, la baisse du salaire minimum et le démantèlement du système ERO/REA, qui n’a rien à voir avec l’état des finances publiques ou la pagaille financière du secteur bancaire, sont sources d’inquiétude. Ils y voient l’influence de l’aile « néo-libérale » de la Commission qui utilise la crise pour imposer des changements sur le marché du travail.

Un instrument permanent. Le 29 septembre, la Commission européenne présentait un projet de règlement sur « la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques » dans laquelle elle se réserve le droit de prescrire les solutions qu’elle estime les mieux adaptées, y compris en matière de marché du travail, pour restaurer la compétitivité des économies et contraindre les États membres à respecter le Pacte de stabilité et de croissance. Avec un instrument de ce type, l’UE aura le pouvoir de dicter le sens et le rythme des réformes dans tous les pays, à titre préventif, et pas uniquement à l’égard de ceux qui sont en crise et en contrepartie d’une aide financière