BEAUVAIS Arrêts maladie abusifs : la traque

, par Michel DECAYEUX

Le courrier Picard Mardi 07 Décembre 2010 Le Parisien 07.12.2010

Jacqueline, 56 ans, est agent assermenté de la Sécurité sociale. Elle traque les malades imaginaires.

La Caisse primaire d’assurance maladie annonce qu’elle va intensifier ses contrôles pour lutter contre les arrêts maladie abusifs, en hausse de 2,4 % dans l’Oise. Rencontre avec un agent de contrôle de Beauvais, chargé de traquer les fraudeurs.

Il est des métiers impopulaires ; le sien en est un. Celle que nous appellerons Jacqueline, 56 ans, le cheveu grisonnant, est agent de contrôle assermentée de la sécurité sociale. Dans son cartable rouge, « pas de scrupules », mais la « conscience que je travaille dans un organisme qui gère des fonds publics » et le sentiment que « je rends service à la collectivité. »

Son job : traquer les fraudeurs ; ceux qui perçoivent indûment des indemnités journalières, ceux « qui occupent un deuxième emploi alors qu’ils sont en arrêt maladie », lâche Jacqueline ; « ceux qui refont le crépi de la maison tout en étant malades », plaisante Jean-Noël Bellier, sous-directeur à la CPAM.  Un métier d’actualité, à l’heure où la Caisse primaire d’assurance maladie annonce son intention d’accentuer ses contrôles, pour lutter contre les arrêts maladie abusifs et enrayer la hausse de 2,4 % constatée au premier semestre 2010 par rapport au premier semestre 2009 (voir en page 6 du Courrier picard de ce jour).

Environ 200 contrôles par an

Aujourd’hui, Jacqueline a prévu de taper ses rapports de mission, « une journée sur deux, je suis en déplacement. » La quinquagénaire entreprend environ 200 contrôles à domicile chaque année, sur ordre de sa hiérarchie, elle-même alertée par un voisin du fraudeur, les doutes d’un agent d’accueil de la CPAM, « l’œil est partout. »

Elle n’est pas envoyée sur site pour juger si l’assuré est apte à reprendre le travail immédiatement, « je ne suis pas médecin », mais pour confirmer « qu’il est chez lui aux horaires obligatoires. » Dans le cas contraire, le fraudeur risque une amputation de ses indemnités journalières.

Depuis dix ans qu’elle fait ce métier, « je me suis fait malmenée juste une fois », raconte-t-elle. Le reste du temps, on lui ouvre, pas toujours bien volontiers, « mais je fais preuve de pédagogie en expliquant aux gens pourquoi je viens. » L’entretien dure généralement « une dizaine de minutes. » Son travail ne se résume pas à de simples visites à domicile. Elle se penche aussi sur « les accidents de travail » et « les maladies professionnelles », au cours de longs entretiens avec les assurés et les entreprises, visant à déterminer si « l’assuré répond à tous les critères qui déterminent ce qu’est une maladie professionnelle ou un accident de travail. »

Un travail d’enquête, qui ne fait pas d’elle « un flic », mais qui nécessite le recours à « quelques ficelles. » Il lui est arrivé d’épier depuis sa voiture les faits et gestes d’un gérant de société soi-disant malade, bon pied bon œil à son poste. Dans ce cas, elle prend des notes et la parole de l’agent assermenté est d’or. « Je me souviens aussi avoir rendu visite à quelqu’un qui souffrait du dos. Je l’ai vu sortir d’un vide sanitaire en se contorsionnant », sourit-elle. Un petit plaisir, pour compenser une maigre paye : 2000 € nets par mois après 37 ans de bons et loyaux services.

Jacqueline aura-t-elle demain les moyens d’intensifier les contrôles ? Son service, qui comptait hier trois agents assermentés, n’en compte plus que deux, pour couvrir tout l’ouest et le nord de l’Oise. Le dernier départ en retraite n’a pas été remplacé. « Nous devrons nous organiser différemment », conclut-elle.

Un arrêt de travail sur cinq est abusif

« Aujourd’hui, on peut dire qu’un arrêt de travail contrôlé sur cinq est abusif, déplore Jean-Noël Bellier, sous-directeur de la CPAM Oise. Les assurés regardent leurs droits mais oublient souvent qu’ils ont des devoirs. Ils n’envoient pas leurs arrêts de travail dans les 48 heures, ne sont pas présents à leur domicile aux heures indiquées sur l’arrêt (de 9 heures à 11 heures et de 14 heures à 16 heures) ou ne font pas prolonger leur arrêt par le même médecin. Or, la CPAM Oise dépense en indemnités journalières 7 millions d’euros par jour et on arrive à un total de 1,8 milliard d’euros par an. »

Quand la fraude est importante, il y a dépôt de plainte

La chasse aux fraudeurs risque donc de s’intensifier dans les semaines à venir. Dans le département, quatre inspecteurs assermentés contrôlent les éventuels fraudeurs. « Ils vérifient que l’assuré est bien chez lui, qu’il ne refait pas la peinture ou n’est pas embauché pour un contrat de courte durée dans une autre entreprise, comme cela arrive parfois, explique Jean-Noël Bellier. Dans un cas sur cinq, il y a une reprise demandée du travail, le remboursement des indemnités indûment perçues et une pénalité. Quand la fraude est importante, il y a même un dépôt de plainte (NDLR : vingt plaintes déposées cette année par la CPAM Oise) contre les usagers, mais aussi contre des professionnels de santé. »

Car les usagers ne sont pas les seuls à être visés par cette campagne. « Nous avons rencontré les médecins pour les sensibiliser afin d’arriver à une meilleure maîtrise des dépenses, explique Jean-Noël Bellier.

Il faut savoir que plus un arrêt de travail se prolonge, plus le retour au travail est difficile. Nous les aidons en préconisant des durées d’arrêt idéales selon certaines maladies. Pour les professionnels de santé qui auraient tendance à donner des arrêts de travail de façon trop généreuse, nous avons des entretiens d’alerte, durant lesquels ces médecins s’engagent à diminuer la prescription d’arrêts de travail. L’étape suivante est la mise sous accord préalable. Dans ce cas-là, les médecins doivent demander l’aval du service médical de la CPAM avant de prescrire un arrêt maladie. C’est arrivé dans d’autres départements et les résultats ont été significatifs puisqu’il y a eu des diminutions allant de 30% à 50%. »

Dans l’Oise, aucun médecin n’a été placé sous accord préalable. Mais quinze professionnels de santé ont dû passer des entretiens d’alerte. Les employeurs sont également concernés. « Nous avons rencontré un certain nombre de DRH sur ce sujet, indique Jean-Noël Bellier. Parfois un assuré ne peut pas reprendre son travail initial, mais il peut reprendre une activité dans un autre secteur de l’entreprise, quitte à suivre une formation de reclassement. »