Allemagne : Merkel donne des gages au syndicat IG Metal

, par Michel DECAYEUX

le 25.11.2013 Le Figaro et Die Zeit

La chancelière était l’invitée du congrès d’IG Metall lundi. Elle a promis des avancées sur l’emploi, pas sur les retraites.

Angela Merkel soigne ses relations avec les syndicats. Lundi, la chancelière était l’invitée principale du congrès d’IG Metall. On la comprend : ce syndicat est le plus important d’Europe, avec 2,3 millions d’adhérents dans la sidérurgie, l’automobile, l’électronique ou le textile. Il incarne la puissance de la cogestion allemande

Un salaire minimum, oui, mais pas à n’importe quel prix !

Le prochain gouvernement pourrait bien lancer une petite révolution en instaurant un salaire minimum généralisé. Mais si cette réforme n’est pas soigneusement préparée, elle risque d’échouer

Tout le monde est aujourd’hui d’accord. “Oui, ce pays va avoir un salaire minimum, et un salaire minimum qui ne laisse personne de côté”, a déclaré la ministre du Travail . Rarement une idée a semblé aussi simple et évidente que le salaire minimum. D’après les sondages, 83 % des citoyens y sont favorables et même son montant semble assuré. Pourtant, cette réforme qui suscite tant d’approbation, qui constitue le projet économique et social le plus important du gouvernement

Voilà ce que signifie un salaire minimum généralisé : que l’on vive à l’Est ou à l’Ouest, que l’on soit jeune ou vieux, salarié ou stagiaire, nul en Allemagne ne serait rémunéré moins de 8,50 euros l’heure. Ce serait un bouleversement historique. Pour l’instant, ce sont les organisations patronales et les syndicats qui fixent les rémunérations dans des conventions collectives. Celui qui n’entre pas dans ce cadre négocie directement avec son employeur.

Seules quelques branches ont un salaire minimum qui a été souhaité et négocié par les partenaires sociaux. Quant à l’Etat, il se tient en dehors de tout ça. Il s’agit d’une des plus grandes interventions dans l’ordre économique allemand depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle modifie la situation de branches entières et pourrait toucher 6 millions de personnes.

Responsables politiques, citoyens et représentants du monde des affaires constatent aujourd’hui avec horreur que la transition énergétique, un projet plein de bonnes intentions – la promotion des énergies renouvelables – se passe plutôt mal parce que tout est beaucoup plus complexe que ce qu’on croyait. Les subventions échappent à tout contrôle, la consommation de charbon augmente au lieu de diminuer et les pauvres ne peuvent plus payer leur facture d’électricité. Dans quelques années, on dira peut-être aussi du salaire minimum : ah ! ce n’est pas comme ça qu’on voyait les choses.

Il suffit de jeter un œil sur les taxis, la profession qui compte le plus de bas salaires, pour avoir une idée de la complexité du projet. Selon l’Office fédéral des statistiques, c’est derrière le volant d’un taxi que l’on trouve le plus de personnes faiblement rémunérées : 87 % des chauffeurs ont un petit salaire, 6,85 euros l’heure en moyenne. Les contrats de travail ne prévoient souvent pas de fixe, le chauffeur touche un pourcentage sur ce qu’il gagne. Comment mettre en place un salaire minimum dans ces conditions ? Ces contrats deviendront-ils caducs du jour au lendemain ? Supposons que les chauffeurs perçoivent effectivement 8,50 euros au lieu de 6,85 euros. Un autre problème apparaît : les sociétés de taxi devraient payer 24 % de plus, alors qu’elles ne peuvent pas augmenter leurs tarifs, fixés par les municipalité s. Il faudrait une augmentation de 20 à 25 % pour compenser celle des salaires, selon la Fédération des sociétés de taxi et certains syndicats.

Travail au noir. Tout cela semble peut-être exagéré, mais c’est un bon exemple des difficultés à venir. “Personne n’a réfléchi à la façon dont on allait mettre en pratique le salaire minimum généralisé. De nombreux problèmes ne sont pas résolus”, déclare Karl Brenke. Selon ce spécialiste du marché du travail à l’Institut allemand de recherche économique, 1 million de personnes faiblement rémunérées ne sont pas payées à l’heure mais pour une prestation déterminée, comme les chauffeurs de taxi.

Un autre million de personnes ont certes des heures de travail fixes mais font beaucoup d’heures supplémentaires non rémunérées. “Les entreprises où ce genre de chose est la norme pourront facilement contourner le salaire minimum”, prévient Brenke. Pour l’éviter, il faudrait que toutes les entreprises déclarent le temps de travail de leurs employés – “et il faudrait aussi que quelqu’un vérifie”. Or il n’existe pas d’organisme public en mesure de contrôler les heures de travail de plusieurs millions de salariés.

Ce n’est là qu’une des nombreuses possibilités de contourner le salaire minimum. “Et si une coiffeuse de Saxe, employée pour 5 euros l’heure, se retrouvait obligée de travailler en libéral dans une espèce de cabinet de coiffure ?” demande Armin Schild, membre du bureau national du SPD et responsable pour la région de Francfort d’IG Metall [le syndicat de la métallurgie]. “Elle aurait zéro euro de fixe et pas d’assurance-maladie. On n’aurait rien gagné !” Les bas salaires pourraient ainsi glisser du côté des travailleurs indépendants – l’horreur pour les partisans du salaire minimum.

Les experts craignent en outre que l’instauration d’un salaire minimum n’en­­traîne un accroissement du travail au noir. S’il est fixé à 8,50 euros, 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires passeront dans ­l’économie souterraine, pronostique l’Institut de recherche appliquée en économie de Tübingen. L’administration chargée d’empêcher ce genre de chose et de veiller au respect des salaires minimum de branche est déjà dépassée. Il faudrait au moins 2 000 contrôleurs supplémentaires, estime le président du syndicat allemand de la douane et des finances.

Les plus vulnérables. S’il existe un risque important de fraude massive, c’est aussi parce que les 8,50 euros annoncés constituent un bond énorme pour nombre de branches. Cela représenterait une augmentation de 40 % des bas salaires en moyenne. Et les petites entreprises seraient particulièrement touchées [voir graphique].

Pour les partisans d’un salaire minimum élevé, ces chiffres témoignent de la gravité de la situation salariale et de la nécessité d’une réglementation

L’Allemagne va instaurer un Smic généralisé à 8,5 euros de l’heure en 2015, selon l’accord signé entre la chancelière, Angela Merkel, et le SPD, ce mercredi 27 novembre. Depuis longtemps, les industriels français des viandes dénoncent des distorsions de concurrence sur les salaires dans les abattoirs. Si l’annonce allemande est un "signe positif" pour le directeur général du Syndicat des industries des viandes (Sniv-SNCP), Pierre Halliez ne veut pas lâcher la pression. Pour lui "les choses doivent évoluer aussi en Europe sur les règles régissant le travail détaché de salariés", avec une nouvelle directive. Le salaire minimum existe dans d’autres pays et ça marche, avancent ses partisans. Ce qu’ils oublient, c’est que le montant envisagé ferait passer d’un seul coup l’Allemagne dans le groupe des salaires minimum les plus élevés. Ses voisins de l’Est ont un seuil de 2 euros (Pologne, République tchèque), ceux de l’Ouest tournent autour de 9 euros (Belgique, France). Le plus important, ce n’est pas le montant lui-même mais la part du niveau moyen des salaires qu’il représente. Dans certains pays (République tchèque, Etats-Unis, Japon), le salaire minimum représente 35 à 38 % du salaire moyen, dans d’autres, 40 à 50 % (Pologne, Grande-Bretagne, Belgique), mais pratiquement jamais 60 % – sauf en France [où le salaire minimum est de 9,43 euros brut de l’heure]. Avec 8,50 euros, l’Allemagne se rangerait juste derrière.

En Allemagne, le salaire minimum devrait être général et sans faille. Aux Etats-Unis, au Canada et au Japon, il existe des salaires minimum régionaux. Et presque tous les pays ont des dispositions particulières pour les jeunes. Les Pays-Bas ont même neuf tranches, qui vont de 2,56 euros l’heure pour un salarié âgé de 15 ans à 8,53 euros pour les plus de 22 ans. Les pourboires sont pris en compte dans les calculs. Aux Etats-Unis, les pourboires ne comptent pas mais les secteurs rémunérés au pourboire ont un salaire minimum plus faible : 1,58 euro au lieu de 5,39 euros. Et il y a les subventions. En France par exemple, l’Etat soutient massivement un grand nombre d’entreprises via des allégements de charges pour qu’elles puissent verser le salaire minimum, ce qui coûte 23 milliards d’euros par an aux contribuables.

La pauvreté ne devrait pas diminuer pour autant, car elle tient au fait que les gens n’ont pas de travail, ou trop peu – et non pas seulement au salaire horaire. Même les travailleurs pauvres ne disparaîtront pas, car ils ont en général un emploi à temps partiel ou un minijob qui ne suffirait pas à les faire vivre même si on augmentait le salaire horaire.

Pour les industriels des viandes, "le Smic allemand peut réduire les distorsions de concurrence avec les abattoirs français" >:FONT>