Bangladesh : la révolte des ouvriers du textile

, par Michel DECAYEUX

21-23 mai 2013 Libération, IndustriALL

Des familles exigent les salaires des ouvriers morts dans l’effondrement d’un immeuble et la peine de mort pour son propriétaire, à Savar, près de Dacca

Près d’un mois après la catastrophe de l’effondrement du Rana Plaza, près de Dacca, qui a fait 1 127 morts, la tension au Bangladesh reste très vive. La police a tiré hier des balles en caoutchouc contre des milliers d’ouvriers du textile en lutte pour des hausses de salaires. Ils avaient bloqué l’accès à une autoroute dans la zone industrielle d’Ashulia, près de la capitale, où sont regroupées des centaines d’usines, qui avaient rouvert vendredi après avoir été fermées la semaine passée. « Les salariés du textile les moins bien payés au monde [30 euros par mois en moyenne, ndlr] ne veulent pas d’une augmentation dérisoire comme en 2010 », rappelle Nayla Ajaltouni, du collectif Ethique sur l’étiquette. Et réclament un salaire de 100 dollars (78 euros). Grain de sable Question sécurité, ils ne comptent pas se laisser bercer par les promesses du Fire and Building Safety Alliance, accord initié en octobre par la Clean Clothes Campaign et signé le 16 mai par 31 firmes textiles, sous l’égide de deux syndicats (IndustriALL et UNI) et de l’Organisation internationale du travail. Le français Carrefour, l’italien Benetton, l’espagnol Inditex (Zara), le britannique Marks & Spencer, le suédois H & M ou l’américain PVH (Tommy Hilfiger et Calvin Klein) ont notamment paraphé un texte « contraignant » qui prévoit, précise Nayla Ajaltouni, « que les signataires doivent abonder un fonds de plusieurs millions d’euros pour financer des audits indépendants et accélérer la rénovation des usines ». Un grain de sable salutaire dans la course effrénée au moins-disant social ? Peut-être, mais l’accord ne concerne qu’un millier d’usines de textile sur les 5 000 au Bangladesh. Les américains Gap et Wal-Mart ont notamment boudé le deal (1), promettant des inspections ou des initiatives maison… Par ailleurs, le plus gros acheteur de textile, H & M, a beau avoir signé l’accord, il envisage de relocaliser une partie de sa production en Amérique latine ou en Afrique. Rien à voir, selon le patron de H & M, Karl-Johan Persson, avec la catastrophe de Rana Plaza. « Question de qualité, de réactivité et de prix », assure-t-il au Financial Times. « Court-termiste » Une menace dramatique pour le Bangladesh, pays ultra dépendant de l’industrie textile. Le deuxième exportateur mondial de vêtements emploie 4 millions de travailleurs, pèse 15 milliards d’euros chaque année ; le secteur représentait 80% de ses exportations en 2012. « Les multinationales ont toujours une logique court-terme, admet Nayla Ajaltouni. Notre rôle est d’inciter les entreprises à rester, à condition qu’elles s’engagent à respecter les normes fondamentales du travail. » (1) Que beaucoup n’ont pas encore signé, comme Casino, Leclerc et Auchan, qui réfléchissent cependant à le parapher.

Salaires indignes, syndicats inexistants, le pays est en bout de chaîne des délocalisations. Après les effondrements meurtriers dans l’industrie textile

Au Bangladesh, 90% des travailleurs du textile sont des femmes. Ici, à Dacca, dans une usine de la compagnie hongkongaise Gold tex Limited Champion du tee-shirt super low-cost, deuxième producteur de textile derrière la Chine, le Bangladesh est aujourd’hui l’ultime atelier de la misère. Le secteur de la fabrication y a fait un bond de 9,7% en 2012. Le pays compte 4 500 usines textiles. Après le sinistre, certaines multinationales ont menacé de plier bagages. Mais pour aller où ? Le pays est en bout de chaîne de ce qu’on appelle l’effet domino. L’économiste Olivier Bouba-Olga, auteur de Nouvelle géopolitique du capitalisme, explique le phénomène : « C’est essentiellement dû à la main d’œuvre bon marché à laquelle s’ajoutent les quotas mis en place par l’Europe pour limiter les importations. Les pays visés par ces restrictions, notamment la Chine, délocalisent leur production dans les pays voisins afin de contourner ces barrières. » L’instauration de nouvelles normes de production déplace aussi les lignes. Ainsi, en Turquie en 2009 une campagne de sensibilisation a abouti à l’interdiction du sablage des jeans, responsable de la silicose (maladie pulmonaire mortelle). Résultat, des industriels ont quitté le territoire pour poursuivre cette pratique dans d’autres contrées moins regardantes. Le Bangladesh en tête.

Représailles contre les syndicats Arrestations, insultes, violences physiques, tous les moyens sont bons pour entraver l’émergence des syndicats. Lorsque quelques téméraires tentent de s’organiser, ils se voient dans l’obligation de se faire connaître auprès des autorités. Or ces listes atterrissent sur le bureau des employeurs. La plupart préfèrent courber l’échine par crainte de représailles ou de licenciement, malgré des conditions de travail proches de l’esclavage. 50 à 100 heures hebdomadaire pour 30 euros par mois. Des heures supplémentaires obligatoires, rarement majorées, parfois payées. « Le Bangladesh est spécialisé dans le vêtement très low-cost. Pour maintenir des prix aussi bas, les employeurs font l’impasse sur les conditions de sécurité », Les 3,2 millions de travailleurs du textile, des jeunes femmes à 90 %, manipulent les produits chimiques sans gants ni masque. Seules quelques chutes de tissus les protègent. Les ouvriers triment dans des immeubles insalubres aux fondations branlantes.

Usines textiles au Bangladesh : la France appelle ses entreprises à signer l’accord sur la sécurité

La ministre française du Commerce extérieur Nicole Bricq a appelé les entreprises françaises à suivre l’exemple du géant de la distribution Carrefour qui a signé un accord pour renforcer la sécurité des usines textiles au Bangladesh après l’effondrement de l’immeuble du Rana Plaza. Auchan et Camaïeu ne figurent pas parmi la trentaine de signataires de cet accord sur la sécurité des bâtiments du textile.

Avec un bilan établi à 1 127 morts, l’effondrement du l’immeuble du Rana Plaza dans la banlieue de Dacca, capitale du Bangladesh, restera comme l’un des plus graves accidents industriels de l’histoire. Quelques semaines après ce drame, plusieurs grandes marques occidentales d’habillement, dont Carrefour (marque Tex), l’italien Benetton, l’espagnol Inditex (marque Zara), le britannique Marks and Spencer ou le suédois H&M, ont signé un accord visant à renforcer la sécurité des usines textiles au Bangladesh. Ce mercredi 22 mai, la ministre française du Commerce extérieur Nicole Bricq a appelé les autres entreprises françaises à suivre l’exemple du numéro un européen de la distribution. "Carrefour, entreprise française de renom a signé cet engagement. J’invite l’ensemble des entreprises nationales à suivre cet exemple", a déclaré la ministre devant les députés de l’Assemblée nationale. Le Bangladesh est le troisième fournisseur de textiles de la France derrière la Chine et l’Italie et devant l’Inde et la Turquie.

Selon certaines ONG et des journalistes présents sur place, des étiquettes de la marque Tex (Carrefour), In Extenso (Auchan) et Camaieu ont été retrouvées sur les lieux de la catastrophe au Bangladesh. Carrefour avait précisé mi-mai n’avoir "eu aucune relation commerciale avec les entreprises locales qui étaient en activité dans l’immeuble qui s’est effondré" mais le groupe a tout de même accepté de signer l’accord sur la sécurité des usines textiles.

En revanche, Auchan et Camaïeu, qui avaient eux aussi contestés toute activité dans le pays, ne figurent pas parmi la trentaine de signataires de cet accord sur la sécurité des bâtiments du textile, qui ne concerne toutefois qu’environ un millier d’usines de textile sur les 3 500 qui travailleraient pour l’exportation au Bangladesh.

Les marques mondiales agissent ensemble dans l’accord sur la sécurité , IndustriALL

Les grandes entreprises de marques qui soutiennent l’accord mondial sur les mesures de sécurité qui ont trait aux incendies et aux bâtiments au Bangladesh ont montré leur engagement pour améliorer les conditions de vie des travailleuses et travailleurs de la confection au Bangladesh lors de la première réunion tenue aujourd’hui à Genève par l’Organisation internationale du Travail Aux côtés de IndustriALL Global Union et de UNI Global Union, les entreprises ont accepté d’aller immédiatement de l’avant pour la mise en œuvre de l’accord. L’objectif consiste à mettre sur le terrain, dès que possible, des inspecteurs chargés de la sécurité pour commencer à déterminer les problèmes les plus urgents. Les participants, notamment la campagne Clean Clothes (vêtements propres) et le Worker Rights Consortium (Consortium sur les droits des travailleuses) qui ont signé l’accord en tant que témoins, ont déclaré que l’accord donnait la possibilité de rectifier les risques inacceptables auxquels les travailleuses et travailleurs de la confection font face au Bangladesh en raison de normes de sécurité insuffisantes dans les fabriques et les ateliers. Plus de 1,100 personnes sont mortes lors de l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza, la tragédie la plus grande survenue dans l’industrie au Bangladesh, qui a engendré un débat mondial sur l’amélioration de la sécurité. Le secrétaire général de IndustriALL, Jyrki Raina, a déclaré : Il s’agit de l’engagement de plus de 40 marques de vêtements signataires à travailler ensemble pour mettre en œuvre cet accord juridiquement contraignant avec IndustriALL Global Union et UNI Global Union. Les travailleuses et travailleurs vont maintenant chercher à étendre partout cet accord historique dans d’autres pays et d’autres secteurs industriels. Nous sommes revigorés par le fait de travailler avec cette masse critique de marques de vêtements qui dominent sur le marché et sur les détaillants pour mettre en pratique au Bangladesh les sentiments exprimés dans l’accord. Le secrétaire général de UNI Global Union, Philip Jennings, a dit : C’est le moment de retrousser nos manches et d’entreprendre la tâche urgente d’améliorer la sécurité dans les fabriques et les ateliers au Bangladesh. Le travail dans la phase de mise en œuvre de l’accord commence maintenant. Nous donnons ici la liste les entreprises qui ont signé l’accord contre l’incendie et pour la sécurité au Bangladesh : ENTREPRISES SIGNATAIRES :

Abercrombie & Fitch Aldi North Aldi South Benetton Bon marche C&A Carrefour Charles Vögele Comtex El Corte Inglés Ernstings’s Family Esprit Fat Face G-star H&M Hema Inditex jbc John Lewis Kik Lidl Loblaw Mango Marks and Spencer Mothercare N Brown New Look Next Otto Group Primark PVH s.Oliver Stockmann Switcher Tchibo Tesco V&D We Europe