Les banques suisses draguent en France

, par Michel DECAYEUX

le 30.03.2013 Le Parisien

La banque suisse UBS a-t-elle fait de la France son terrain de chasse ? Avec la complicité de sa filiale française UBS France, a-t-elle méticuleusement drainé hors de nos frontières, au mépris de la loi et du fisc, la fortune de nos plus riches ressortissants ? C’est ce qu’affirme, dans un témoignage exclusif, un ancien cadre du groupe. Nicolas Forissier, débarqué pour avoir dénoncé en 2010 le système d’évasion fiscale massif mis en place par la banque, a obtenu gain de cause aux prud’hommes.

« Nicolas Forissier a été licencié pour avoir refusé de souscrire aux pratiques illicites d’UBS France et d’UBS », indique le jugement contre lequel la banque a formé appel. Le quadragénaire, qui affirme avoir subi harcèlement et intimidations, a aujourd’hui retrouvé du travail dans un autre établissement financier à Paris. « J’avais rencontré Nicolas Forissier en tête à tête au Sénat, se souvient le sénateur (PC) Eric Bocquet, rapporteur de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France. Ses propos m’avaient paru très crédibles et extrêmement inquiétants sur les pratiques de son ancien employeur. »

Amende aux Etats-Unis, enquête judiciaire en France En 2009, dans le cadre du scandale Birkenfeld, un tribunal américain avait condamné l’UBS (dont le siège est à Zurich en Suisse) pour « fraude fiscale » à verser une amende de 780 M$ (608 M€), et obtenu de la banque une levée partielle de son secret bancaire. En France, une information judiciaire pour « démarchage illicite » et « blanchiment de fraude fiscale » est ouverte, depuis un an, au pôle financier de Paris. Elle pourrait conduire, à terme, à la mise en examen d’UBS, dont le nom est également cité dans l’enquête sur un présumé compte suisse de l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac. L’enjeu est de taille : dans « Ces 600 milliards qui manquent à la France » (Ed. Seuil), le journaliste Antoine Peillon évalue à 850 M€ sur dix ans le manque à gagner pour le fisc français découlant de cette vaste fraude fiscale…

Les révélations chocs d’un ex-banquier d’UBS « Un système encourageant l’évasion fiscale »

Nicolas Forissier, 43 ans, a dirigé l’audit interne d’UBS France entre 2001 et 2009. Licencié pour avoir dénoncé l’évasion fiscale organisée au sein de sa banque, cet ancien cadre d’UBS s’exprime publiquement pour la première fois.

Quand avez-vous suspecté la banque de frauder le fisc ? NICOLAS FORISSIER. Les premières alertes remontent à octobre 2003. Mon PDG et moi-même sommes convoqués par Tracfin. Cet organisme de renseignement et de contrôle s’étonne de n’avoir jamais reçu le moindre signalement émanant d’UBS France alors que, nous dit-on, de très nombreux comptes douteux y sont ouverts. Au terme de cet échange, on nous donne trois mois pour faire le ménage. C’est ce que nous avons fait. En trois mois, nous avons fermé près de 300 M€ d’actifs sous gestion et plusieurs responsables de l’époque ont été licenciés.

La banque était donc coopérative. Oui, jusqu’à ce que je m’intéresse au département Sport Entertainment Group d’UBS France ainsi qu’à ses agences de province. J’ai alors découvert la partie immergée de l’iceberg : un système encourageant une évasion fiscale massive.

De quelle façon est organisé ce système ? Il repose sur une comptabilité occulte et parallèle, volontairement manuelle, appelée « carnets du lait ». Elle vise à dissimuler les mouvements de fonds transfrontaliers de la France vers la Suisse ou d’autres paradis fiscaux. Ces carnets du lait sont eux-mêmes compilés dans un discret fichier « vache » transmis à la maison mère en Suisse. Après vérification des opérations, de part et d’autre de la frontière, ces documents étaient systématiquement détruits.

Comment l’avez-vous découvert ? Ce sont les différents responsables d’agence de province qui m’en ont, les premiers, révélé l’existence. En 2007, le directeur général de l’époque, Patrick de Fayet, avait demandé à tous les commerciaux de passer l’ensemble de leurs opérations dans les carnets du lait afin de « blanchir » cette comptabilité occulte. Des salariés qui venaient de conclure la vente de l’hôtel le Royal Monceau s’y sont refusés. Ils m’ont contacté. D’autres leur ont emboîté le pas.

Comment vos supérieurs ont-ils réagi ? A compter de 2007, très mal. Mes responsables français et suisses m’ont fait comprendre qu’il ne fallait pas que j’insiste. Après un harcèlement extrêmement violent, j’ai été licencié pour « faute grave », mon employeur m’accusant d’avoir menti. Les prud’hommes m’ont donné raison en juin 2012, constatant que c’est à juste titre que j’avais dénoncé le système frauduleux d’évasion fiscale. UBS France a fait appel.

Un juge enquête actuellement sur les faits que vous avez dénoncés. Qu’attendez-vous de lui ? Je veux que l’on rétablisse mon honneur et mes valeurs et que le préjudice que j’ai subi soit réparé. Au-delà de mon cas personnel, il faut que les autorités de régulation, Autorité de contrôle prudentiel (ACP) et Autorité des marchés financiers (AMF), jouent vraiment leur rôle. Nos professions doivent, par ailleurs, être mieux protégées. Il est inadmissible que j’aie été licencié pour avoir fait correctement mon travail.

Le silence des autorités de contrôle est, il est vrai, étonnant… A trois reprises, en 2001, 2003 et 2005, l’ACP m’a demandé des comptes et posé des questions précises. En dépit de mes réponses et malgré mes déclarations à Tracfin et aux services de renseignement français, elle semblait ne pas être au courant. En décembre 2010, elle a fini par transmettre un document au parquet et à diligenter un audit interne. Mais, curieusement, malgré tout cela, UBS n’est jamais passée en commission des sanctions…

Vous avez eu accès aux comptes douteux d’UBS… Oui, ainsi qu’à des opérations illicites transmises par des collaborateurs. Il n’y a aucune place au doute. Mais je suis tenu au secret bancaire et ne peux donc pas vous en parler. Pensez-vous que les pratiques que vous dénoncez perdurent aujourd’hui ? Il est possible que les démarchages illicites se poursuivent. Je suis plus réservé sur l’évasion fiscale : la pression s’étant accrue, UBS ne prend peut-être plus ce risque 50 C’est le nombre de pays dans lesquels UBS est présente. Elle emploie 64000 personnes. Son résultat pour 2012 est d’environ 2,5 Mds€. UBS est la plus grande banque de gestion de fortune en Europe. Ses principales activités sont la banque, privée, la banque d’investissement et la gestion de fortune. En Suisse son principal concurrent est le crédit suisse.