Lettre à nos enfants et petits enfants

, par Michel DECAYEUX

MIN PIOT

J’ai longtemps refusé de répondre à tes questions, je pensais alors, que le déroulement de ma vie, simplement banal, pouvait me faire perdre l’image que tu avais de moi.

Aujourd’hui c’est différent, des gens mal intentionnés veulent altérer cette image et donc les relations que nous avons. Piot, il faut dire que j’ai commencé à travailler avant 18 ans. A cette époque, nous n’avions pas les 35 heures, nous n’avions d’ailleurs pas non plus de week-end, nous nous reposions du samedi 12 h au lundi 8 h. La pause méridienne ne se passait pas dans un restaurant d’entreprise ou administratif, nous n’avions pas de ticket restaurant. Les femmes n’avaient pas les avantages médicaux et sociaux qu’ont leurs filles aujourd’hui. Pour nous Piot, un long service militaire dans une période dangereuse qui a exposé tant de jeunes de mon âge. Les salaires, les conventions collectives, les conditions de travail, tout était à améliorer.

Il a fallu se battre, revendiquer, c’était notre vie, nous n’étions pas mal- _ heureux, parce que debout, nous l’avons assumée avec des résultats di¬vers mais toujours avec enthousiasme. Nous avons créé des familles, élevé dignement nos enfants. Aujourd’hui, au moment où l’âge acquis nous permet de profiter d’un repos bien mérité, au moment où chacun d’entre nous espère traverser la dernière étape de sa vie dans les meilleures conditions possibles, ils ont osé ... Ils ont osé laisser entendre qu’en profitant « égoïstement » de notre retraite nous mettrions en danger les équilibres de la nation ! Savent-ils que 10 % des personnes âgées vivent sous le seuil de pauvreté et 30 % juste à la limite (900 € par mois) ? Savent-ils que 600 000 d’entre eux perçoivent le minimum vieillesse (ASPA) qui est en dessous du seuil de pauvreté ?

Savent-ils, ces hauts fonctionnaires, relayés par les médias, qu’ils ont osé, dans le confort douillet de leurs bureaux parisiens, cibler des hommes et des femmes qui pourraient être leurs parents ? Pourtant ils ont osé ! Quand ils disent :
 que nous les retraités nous serions plus favorisés que les actifs parce que nous aurions un « patrimoine » plus important. Ceux qui ont la chance d’avoir leur maison, ne l’ont-ils pas payée sur leurs revenus d’actif ? Pourquoi devraient-ils la payer une deuxième fois par une baisse de leurs revenus. Quand ils disent :
 que c’est une question de solidarité : est-ce que nous n’avons pas été solidaires avec nos anciens pendant notre vie d’actif ? Est-ce que nous n’avons pas cotisé pour les retraites, pour l’assurance maladie et pour certains la retraite complémentaire ? Les difficultés des jeunes à trouver un travail sont réelles mais est-ce que c’est en retardant l’âge de la retraite (lois Fillon 2003 et Woerth en 2010) que l’on a amélioré les choses ? Pourtant ils ont osé demander dans un rapport remis au Président de la République :
 la suppression de l’abattement de 10 % sur les pensions et retraites,
 la suppression de l’exonération des majorations de pension pour les parents de 3 enfants,
 la hausse de la CSG des retraites de 6,6 % à 7,5 %,
 l’augmentation de taux de CRDS de 0,50 % à 0,56 %. Pourquoi un tel acharnement ! Tu vois piot, désormais je pourrai moins t’aider ; même si ce n’était pas très important je gardais ainsi le contact avec la vie active en participant à l’amélioration financière de la tienne. C’est pourquoi :
 je refuse, nous refusons d’être considérés comme des nantis de la société, des privilégiés qui, au nom d’une « solidarité naturelle » auraient l’obligation de consentir des sacrifices particuliers en vue d’une redistribution de leurs revenus.

Tu as compris, je ne t’ai pas parlé uniquement de moi, mais plus généralement de ma génération. Tu as compris mon indignation, tu as compris pourquoi demain avec mes camarades aux cheveux blancs nous serons dans la rue pour crier notre colère. Alors, ne laisse pas ce message dans ta poche, partage le avec tes amis de FAC ou de sport.

Aujourd’hui piot c’est moi, c’est nous qui avons besoin de toi pour combattre une injustice.

Piot en Picard, Pichoun dans le midi = petit enfant

Adaptation en Picard de l’Editorial du Secrétaire Général Jean Claude BOREL de l’UFR FO paru dans le journal le lien n°106