La fatalité du chômage de masse ?

, par Michel DECAYEUX

Les échos

L’expression lancée en 1994 par Denis Olivennes, alors haut fonctionnaire, est restée célèbre. Il y aurait une « préférence française pour le chômage ». Un septennat et deux quinquennats plus tard, force est de constater que son analyse reste d’actualité : pour ne pas toucher au droit social et aux rigidités statutaires, les Français accepteraient implicitement un chômage élevé.

Le taux de chômage au sens du BIT oscille entre 7 % et 10,8 % (9,4 % actuellement hors DOM) depuis... trente ans. Le pays n’est plus repassé sous les 2 millions de chômeurs depuis 1991 et la barre des 3 millions risque d’être franchie cet été. Les comparaisons internationales dressent l’image d’un pays à la croisée des chemins, qui résiste mieux au chômage que ses voisins du Sud mais qui décroche par rapport aux pays nordiques (voir graphique). Face à la crise, la France a évité une catastrophe à l’espagnole, mais n’a pas réussi de miracle à l’allemande. « Insiders » et « outsiders »

La structure du chômage français résume les enjeux : le taux de chômage des 25-54 ans reste contenu, mais celui des 15-24 ans demeure à un niveau élevé depuis le début des années 1980 et celui des seniors s’est envolé depuis deux ans. Autre caractéristique majeure, la dualité structurelle du marché du travail. D’un côté, les « insiders », qualifiés, dotés d’un emploi stable, en CDI, qui connaissent peu le chômage et retrouvent plus vite un emploi en cas d’accident de parcours. De l’autre, les « outsiders », précaires (CDD, intérim), moins qualifiés, qui peinent à basculer dans l’emploi durable et font office de variable d’ajustement à l’activité.

L’inactivité prolongée - ou l’activité trop hachée -faisant chuter l’employabilité, la France est en outre confrontée à un imposant chômage de longue durée, encore accentué par la crise. Pôle emploi recense 1,62 million de chômeurs inscrits depuis plus d’un an, soit près de 40 % des demandeurs d’emploi. Rien, jusqu’ici, n’a permis d’en finir avec ce chômage de masse et l’emploi reste inlassablement en tête des préoccupations des Français. Le partage du temps de travail, les contrats aidés, les incitations fiscales ou les contraintes légales ciblées ont montré leurs vertus temporaires... mais aussi leurs limites structurelles (effet d’aubaine) et leur coût budgétaire. Dans son rapport d’étude économique 2011 sur la France, l’OCDE l’invite à lancer des réformes plus structurelles pour « surmonter les principales faiblesses sur le marché du travail : un haut niveau de fiscalité pesant sur le travail s’ajoutant à un salaire minimum élevé ; une forte segmentation des contrats de travail ; la faible qualité du dialogue social ». De premiers pas ont été faits ces dernières années : la réforme des retraites encourage le maintien dans l’emploi des seniors ; le soutien au chômage partiel réduit les licenciements ; la TVA sociale devrait réduire le coût du travail ; l’essor des stages et de l’alternance améliore l’employabilité des jeunes.

Mais le débat de fond en reste aux prémices : comment concilier flexibilité pour les entreprises et sécurité pour les salariés-citoyens ? La France lorgne le modèle nordique dans sa quête de « flexisécurité ». Les récentes décisions de renforcer les aides au chômage partiel et de promouvoir les accords « salaire contre emploi » sont inspirées de l’Allemagne. Mais les évolutions dans l’Hexagone sont timides.

« Droits et devoirs » Le recul de l’inactivité en Europe du Nord s’est bâti sur deux piliers plus structurels : l’introduction de formes d’emploi plus souples et de règles d’indemnisation du chômage moins généreuses. Une partie du patronat français s’appuie sur ce constat pour réclamer l’instauration d’un contrat unique et l’assouplissement des règles de licenciement. Les syndicats défendent, eux, le renchérissement des contrats précaires. Des pistes plus complémentaires qu’opposées. En témoigne l’exemple de l’Italie, qui vient d’opter pour ce « mix » dans l’espoir de relancer sa croissance.

Le débat monte aussi sur le système d’allocations chômage. Les partenaires sociaux ont lancé des groupes de travail sur la dégressivité des allocations, une piste pour lutter contre le chômage de longue durée. Nicolas Sarkozy propose de mettre l’accent sur la formation des chômeurs tout en renforçant les obligations d’accepter les offres de poste qui leur sont présentées. Une logique de « droits et de devoirs » qu’ont déployé avec un certain succès les Pays-Bas et le Danemark. Mais les pays du Nord et l’Allemagne ont bâti leur réussite sur la qualité de leur dialogue social. C’est l’autre défi de la France : sortir de sa préférence pour le conflit.