Les deux pires ennemis potentiels du délégué syndical : son patron et. éventuellement son syndicat

, par Michel DECAYEUX

Miroir social 22 juin 2011

Non contents de s’opposer légitimement à leurs employeurs, certains ont aussi maille à partir avec leur propre syndicat. Alors quand le dialogue tourne court, dans un cas comme dans l’autre, la menace d’exclusion est réelle.

Les années 1990 ont été les plus terribles pour les salariés protégés. Au cours de cette décennie, leur proportion dans l’ensemble des licenciements pour motif économique a fortement augmenté (de 1,37 % en 1989 à 4,3 % en 2000). À partir du début des années 2000, les demandes se sont stabilisées autour de 12 000 par an *. Quoi qu’il en soit, le Ministère du Travail souligne que, parmi les salariés syndiqués, la désignation, accompagnée ou non d’un mandat électif, protège mieux que l’élection. Le feu vert est plus largement obtenu pour des licenciements de motif économique avec 87,7 % tandis le motif disciplinaire chute, lui, à 64 % (et 74 % pour le motif personnel). Plus étonnant enfin, le fait que huit représentants du personnel sur dix estiment que leur mandat ne constitue ni une protection, ni une menace pour leur emploi. La sanction est en revanche souvent immédiate quand c’est un salarié non protégé qui organise une grève et la médiatise. Le cas du licenciement de Gilles Lelièvre, ex-chef d’équipe dans une agence du groupe Snef pour avoir publié un article sur le Miroir Social en est la parfaite illustration

Un bouclier excessif

Grosso modo, deux milles salariés protégés se retrouvent chaque année dans une procédure de licenciement pour motif disciplinaire (14 % du total) ou personnel (4 %). Avec de tels griefs tout le monde marche sur des œufs : l’employeur d’abord, qui va tout faire pour séparer le mandat de la faute. Le salarié protégé, ensuite, qui peut craindre de la partie adverse un dossier extrêmement bien ficelé. Pendant de nombreuses années, les entreprises ont fonctionné avec une vraie fausse crainte : celle d’une inspection du travail vécue comme une barrière infranchissable. « Aujourd’hui, les demandes pour motif disciplinaire sont le plus argumentées possible. Et depuis la loi du 20 août 2008, les entreprises ont vite appris. À distinguer les syndicalistes qui radicalisent leur discours en vue de conserver leur représentativité de ceux qui se servent de leur mandat comme d’un bouclier de protection excessif », explique Sylvain Niel, avocat associé chez Fidal. Mais en cas d’échec pour l’employeur, le retour de bâton s’avère cuisant. UPS Transport, filiale française du géant de la livraison de colis, vient d’en faire les frais. Sa demande de licenciement pour faute lourde d’un délégué FO a été retoquée sur toute la ligne par l’inspection du travail de Bobigny (93).

Les écrits n’engagent à... rien

Ramzi Mannai, délégué FO chez UPS Transport (livraison de colis), vient d’être réintégré dans l’établissement de La Courneuve, son licenciement ayant été retoqué par la 5ème section de l’inspection du travail de la Seine-Saint-Denis. L’origine du conflit remonte ici à octobre 2010. Sur le site de La Courneuve (180 salariés), FO emporte haut la main les élections professionnelles, en raflant près de 80 % des voix (100 % des sièges au CHSCT). Ce qui l’installe en position de force. Et donc agace. Une grève de plusieurs jours en février suivie par 80 à 100 % des salariés permet d’obtenir, entre autres, une augmentation générale de 73 euros pour les rémunérations inférieures à 2 000 euros, engagement qui figure dans le protocole de fin de conflit. D’autres négociations sur les conditions de travail sont aussi ouvertes. Que s’est-il passé ensuite ? Des directives sont-elles venues directement d’Outre-Atlantique ? UPS France donne alors un grand coup de volant et décide, au mépris des engagements, de licencier cinq grévistes : deux salariés protégés FO (un candidat aux élections et Ramzi Mannai), plus trois salariés. Les deux premiers vont sauver leurs places grâce à leur statut, les autres seront évincés. À parcourir la décision de la 5ème section, le désaveu est cinglant pour UPS, la conclusion, limpide : « le lien entre la demande de licenciement et le mandat syndical ne peut être écarté ».

Syndicats « licencieurs »

Certains écarts de conduite font enfin bondir les syndicats eux-mêmes, inquiets de voir un délégué trublion trop s’écarter de la ligne officielle (voir l’exclusion d’un DS par SUD en mars 2011). Ici aussi, les « gêneurs » se voient appliquer une procédure décrite souvent dans le règlement intérieur du syndicat. Peu diserts sur le sujet, les organisations syndicales soulignent que ces affaires se règlent souvent à l’amiable. Elles reconnaissent toutefois que chaque année, les dossiers les plus délicats remontent aux échelons supérieurs (région, fédération) et atterrissent sur les bureaux ad hoc, Commission confédérale à l’organisation à la CFDT, au Conseil juridictionnel à la CFE-CGC.

Les affaires se règlent aussi devant les tribunaux, comme dans le cas de la CGT Rhône-Alpes de Forclum (groupe Eiffage) qui a été exclue en 2008 par la fédération CGT Construction pour le motif qu’elle ne reconnaissait pas le pouvoir de négociation du délégué syndical central CGT, jugée trop proche de la direction... Sauf que la justice continue de reconnaître l’existence du syndicat local qui ne tient pas à quitter la CGT. Les divergences se règlent aussi parfois plus violemment. Cinq militants contestataires ont été aspergés de gaz lacrymogène lors du congrès de la fédération CGT du commerce et des services de mai dernier.

Les DRH disent ne plus céder aujourd’hui au chantage à la protection. Les syndicats aussi ? La loi sur la représentativité s’accompagne en tout cas d’un ménage sur les porteurs de mandats désignatifs endormis sur l’assurance du statut irréfragable ou trop indépendants. 

Le 9 septembre 2009, un courrier adressé au DRH de la Snecma par la fédération CFTC de la métallurgie actait que Dansou Gbenouvo se voyait retirer son mandat de DSC et de représentant syndical au CCE. Un mois plus tard, les mandats des trois délégués syndicaux CFTC de l’établissement d’Evry-Corbeil passaient aussi à la trappe. L’ex-DSC de la CFTC est depuis passé à l’UNSA...

Source : enquête RÉPONSE 2004-2005 de la DARES