Sous-traitance chez ADP : sur fond de discrimination syndicale, un transfert de marché se transforme en L1224-1

, par Michel DECAYEUX

Miroir social 31 mai 2011

ICTS, une société de sécurité venait de prendre en 2009 le marché d’Orly Sud à la Brink’s en reprenant 93 % des 162 salariés. Seuls des élus syndiqués les plus revendicatifs et des sympathisants grévistes n’ont pas été jugés compatibles. Le repreneur du contrat a été condamné pour discrimination syndicale en première instance mais le juge est allé plus loin en appel en considérant tous les contrats de travail devaient être transférés en application de l’article L1224-1... Lorsqu’une société de sécurité sous-traitante d’ADP perd un marché après un appel d’offres, le nouveau prestataire doit reprendre au moins 92,5 % des salariés. C’est l’accord maison. Avec un taux de reprise de 93 %, la société ICTS était dans les clous en prenant deux marchés à Orly Sud à la Brink’s. Sauf que sur les 13 salariés qu’ICTS n’a pas voulu reprendre, on trouve six élus FO, une élue CGT et six sympathisants syndicaux, familiers des grèves. Seuls 2 des 7 élus du CE ont répondu aux critères de transférabilité fixés par ICTS. Mauvaises attitudes

Les fiche d’évaluation des 13 recalés, qui avaient pourtant tous fait acte de candidature pour rejoindre ICTS, sont sans appel. L’un se serait montré agressif puisqu’il « tape sur la table » tout en présentant mal car « pas rasé » avec « des cheveux longs négligés » et une « veste militaire sale ». Un autre aurait eu un « regard fuyant » en se plaignant des uniformes ICTS tandis qu’une autre aurait eu une attitude très familière à base de « chewing-gum » et de « tutoiement ». Pour certains, l’entretien à commencé par un « je sais qui vous êtes ! ». C’est avant tout le comportement qui importait. La place accordée à l’évaluation des compétences professionnelles a été faible. Un problème de polyvalence a été tout de même détecté sur l’un des recalés car « il ne pouvait effectuer de palpation ». Tel autre qui réussit ses tests périodiques depuis des années se voit annoncer « une réserve sur ses réelles capacités d’opérateur » sans avoir été pour autant soumis à un nouveau test.

Le courrier post-évaluation reçu par les 13 recalés intégrait cette formule type : « Malgré l’intérêt de votre parcours, il est apparu que d’autres profils nous ont semblé plus adaptés à nos attentes ». Nous sommes alors en janvier 2009. ICTS a soutenu qu’elle avait arrêté ses choix sans connaître l’appartenance syndicale des uns et des autres. Une affirmation contestée par la fédération FO de l’équipement, de l’environnement, des transports et des services, qui a saisi le TGI de Paris pour discrimination syndicale.

Et la responsabilité du donneur d’ordre ?

Le 26 mai 2011, la Cour d’Appel de Paris a condamné ICTS à 30 000 € de dommages et intérêts, alourdissant ainsi le jugement prononcé en première instance en janvier 2010, qui fixait la note à 10 000 €. Les fiches d’évaluation produites en appel expliquent en partie l’aggravation de cette condamnation. Selon Me Samuel Gaillard, l’avocat des plaignants, « la question de la responsabilité du donneur d’ordres qu’est ADP en l’espèce se pose, puisque c’est lui qui décide du renouvellement des marchés et que ceux-ci se traduisent quasiment tous par un changement de prestataire, dans un sens une fois, et dans l’autre la suivante. Faire tourner régulièrement les sous-traitants peut ainsi aboutir à un moyen pernicieux d’aboutir à évincer progressivement les représentants du personnel des entreprises de sous-traitance en vue d’obtenir le plus de flexibilité possible pour un coût le plus réduit possible. Cette politique du moindre coût et de la moindre responsabilité sociale n’est bien évidemment pas sans répercussions sur la qualité de la prestation effectuée par le sous-traitant ».

La Cour d’Appel a en outre jugé que tous les contrats de travail de Brink’s auraient dû être transférés à ICTS, comme le prévoit un L1224-1 (ex-L 122-12) , qui s’applique pour toute externalisation ou cession d’une entité économique autonome, mais aussi pour les renouvellements de marché qui s’accompagnent du transfert d’éléments d’exploitation relevant d’une entité économique autonome. C’est dans tous les cas l’état de la jurisprudence. Or, c’est bien ADP qui met à disposition de ses sous-traitants en sécurité des systèmes de détections et de scan des bagages, dont le prix unitaire varie de 380 000 à 2,3 millions d’euros. À partir du moment où le L 1224-1 s’applique, les institutions représentatives du personnel sont également transférées...