Grand débat : les syndicats entre prudence et défiance

, par Michel DECAYEUX

25 janvier 2019 Le Monde

La CFDT et la CFTC ont appelé leurs adhérents à participer aux initiatives locales. Craignant un « enfumage », la CGT est la plus hostile.

Parler d’un franc enthousiasme serait exagéré. Du côté des syndicats, le grand débat national voulu par le gouvernement est regardé avec prudence quand ce n’est pas avec défiance. Les quatre thématiques retenues par l’exécutif (transition écologique, fiscalité et dépenses publiques, démocratie et citoyenneté, organisation de l’Etat et services publics) recoupent pourtant beaucoup de leurs revendications, notamment en ce qui concerne le pouvoir d’achat. Mais, à l’instar des partis politiques, les plus volontaristes d’entre eux sont sur une ligne de crête ; coincés entre la volonté de participer à la sortie de crise et la peur de se faire instrumentaliser.

La CFDT ou la CFTC sont les plus ouvertes. Elles appellent leurs adhérents et militants à participer aux initiatives locales. La confédération dirigée par Laurent Berger propose même à ses structures d’en initier. Pour la centrale de Belleville, si le grand débat « ne sera pas à lui seul la réponse à la crise actuelle », « il peut permettre l’expression des citoyens et constituer autant de moments de démocratie participative que la CFDT appelle à renforcer depuis plusieurs années ».

M. Berger a cependant mis plusieurs fois en garde l’exécutif sur ce qu’il en retiendra à la fin. « Si c’est une analyse unipersonnelle du président et de quelques-uns de ses proches, ces débats auront été un coup d’épée dans l’eau », a-t-il redit, mardi 22 janvier, au Figaro. Lui propose, au terme de l’exercice, de mettre en place un « grenelle du pouvoir de vivre » qui donnerait « la possibilité aux acteurs sociaux de construire des solutions concrètes à partir des revendications des citoyens ».

« Le vrai débat, on va se le faire » Pour François Homméril, président de la CFE-CGC, « la vraie nature du problème, c’est le pouvoir d’achat ». « Or le grand débat, c’est bien qu’il ait lieu, mais il ne réglera pas ce problème de fond », avait-il déclaré début janvier

A FO, Yves Veyrier, secrétaire général, rappelle d’ailleurs que sa confédération n’a pas « attendu le grand débat » pour exprimer ses revendications sur ces problématiques. Pour bien s’en démarquer, ce dernier souligne que son syndicat n’en est « ni organisateur, ni co-organisateur ». M. Veyrier appelle aussi l’exécutif à suspendre certaines des réformes en cours, notamment celle de la fonction publique. « C’est paradoxal : on ne peut pas dire : “on débat” tout en continuant ce qui est contesté », juge M. Veyrier, en soulignant que le sujet des services publics fait partie des discussions.

Déclaration de la CE confédérale

DECLARATION DE LA COMMISSION EXECUTIVE CONFEDERALE DU 24 JANVIER 2019

Force Ouvrière, indéfectiblement attachée à l’indépendance syndicale, confirme qu’elle n’est ni organisatrice, ni co-organisatrice ou associée au Grand débat. Celui-ci – décidé par le gouvernement – s’adresse aux citoyens. La Commission exécutive confédérale confirme son refus d’accompagner la transformation du syndicat en corps intermédiaire. C’est pourquoi, la confédération Force Ouvrière ne participe et ne participera pas au Grand débat et met en garde contre l’objectif de cautionner les mesures du gouvernement sans aucun résultat pour les salariés. Elle invite ses adhérents à ne pas participer au titre de FO au Grand débat directement ou indirectement notamment à travers les CESER.

FO entend en effet se préserver de toute tentative ou forme d’instrumentalisation et entend poursuivre son action en toute indépendance pour la défense des intérêts matériels et moraux des salariés.

Aussi, elle s’oppose à toutes dispositions, fussent-elles annoncées par le gouvernement, portant atteinte au droit de manifester.

Organisation pacifiste, démocratique et républicaine FO, rappelle que la liberté de manifester relève des droits fondamentaux, protégés en particulier par l’OIT, et condamne ses restrictions, sa répression et le fichage des manifestants et syndicalistes.

Attachée à la démocratie représentative, FO proteste contre une utilisation du grand débat sur des sujets tels que l’immigration et la laïcité au risque d’exacerber les tensions et de justifier une mise en cause de la loi de 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat.

FO conteste également que la négociation sur l’assurance chômage puisse, elle-même, être placée sous tutelle du grand débat, à coup de clichés et raccourcis jetant l’opprobre sur les chômeurs et le système lui-même, quand l’urgence est au contraire de mettre fin aux recours abusifs aux contrats précaires par les entreprises. FO réaffirme son opposition à toute réforme des retraites conduisant à réduire les droits des salariés, à reculer encore l’âge du départ en retraite et la remise en cause des régimes existants. FO rappelle qu’elle porte de longue date et continuera de porter ses revendications contre les politiques conduites au nom des seules contraintes économiques imposées par modèle libéral.

Il en est ainsi du Service public et de la Fonction publique, du rétablissement d’une fiscalité progressive, qui assure une plus forte redistribution, appuyée sur le revenu et non essentiellement sur une contribution proportionnelle (CSG) et l’impôt indirect (TVA, TICPE), de la nécessité, sur la question du climat, d’assurer une transition fondée sur la justice sociale, de la défense et de la reconquête d’une protection sociale collective, financée solidairement par le salaire différé et gérée paritairement par les interlocuteurs sociaux.

Dans l’immédiat, FO réaffirme la nécessité que soit apportées des réponses aux revendications d’augmentation des salaires du privé comme du public, du SMIC et du point d’indice dans la Fonction publique, des pensions et retraites, de la généralisation du prime transport.

La commission exécutive s’inscrit pleinement dans la semaine d’actions et de grèves, du 3 au 7 février avec le rassemblement à Matignon, dans la Fonction publique à l’appel des fédérations et syndicats FO et invite ses structures à prendre toutes dispositions pour sa réussite.

Compte tenu de la gravité de la situation et de la nécessité de construire le rapport de force interprofessionnel, la Commission exécutive soutient les fédérations, unions départementales et syndicats qui appellent à la mobilisation, y compris par la grève, le mardi 5 février, sur ses revendications :

• Augmentation du SMIC à 1450 € net et augmentation générale des salaires, pensions et retraites, minima sociaux, tant dans le privé que dans le public et la généralisation de la prime transport ;

• • Maintien de l’ensemble des régimes de retraites existants et refus de de tout système universel par points ;

• • Défense de l’assurance chômage et des droits des chômeurs, de la protection sociale collective et du salaire différé ;

• • Préservation du service public, de sa présence territoriale et du statut des agents ;

• • Défense des libertés démocratiques et syndicales, du droit de grève et de manifester ;

• • Abrogation de la loi travail et des ordonnances travail.

Adoptée à l’unanimité Paris, le 24 janvier 2019 FO.