Comité social et économique : c’est (mal) parti

, par Michel DECAYEUX

18/09/2018 L’express

La représentation des salariés en entreprise change de visage avec les ordonnances Travail, provoquant remous et crispations.

"S’il y a des problèmes à la cokerie ou au laminage, comme il n’y a plus d’élus de proximité pour faire remonter l’information et déminer la grogne, les ouvriers débrayeront sans préavis. Et tout le monde sera pris de cours", pronostique Henri Botella, délégué syndical central (DSC) de la CFE-CGC chez ArcelorMittal Méditerranée, à Fos-sur-Mer. Le syndicaliste décrit un climat délétère sur le deuxième site sidérurgique de France (2 500 salariés). En cause ? L’arrivée du Comité économique et social (CSE) en lieu et place du bon vieux CE. D’ici le 31 décembre 2019, en effet, tous les sujets jusque-là partagés entre le CE (comité d’entreprise), le CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) et les DP (délégués du personnel) au sein des entreprises de plus de 11 salariés, devront être rassemblés dans une seule instance : le CSE, acté par les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 Autrement dit, tout ce qui touche à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à la formation professionnelle, à l’organisation du travail, à la santé et la sécurité, aux œuvres sociales, et aux soucis des salariés au quotidien, seront discutés et traités dans ce lieu unique.

Près de 9000 comités économiques et sociaux ont déjà vu le jour au 1er semestre 2018, se félicitait le ministère du Travail il y a une semaine. Un succès ? Pas si sûr. Il n’y a pas de rush. Les entreprises ont même tendance à procrastiner sur ce chapitre ardu, constatent des avocats, experts en droit social. À l’épreuve du terrain, les craintes ne sont pas minces et ce bouleversement fait grincer bien des dents.

La santé et la sécurité aux mains de novices

Chez Arcelor Mittal en région Paca, comme ailleurs dans l’industrie, le BTP, les transports, la distribution, ou les services, la fusion des trois instances représentatives du personnel (IRP) en CES entraîne la diminution du nombre d’élus et inquiète. Pas seulement sur les plans technique et juridique, mais aussi sur celui de son futur fonctionnement. Les syndicats, comme certains DRH, dénoncent, selon leurs propres mots des "incohérences", des "irritants" et un "appauvrissement" qui vont au-delà des postures idéologiques. Principal objet des griefs : la disparition du CHSCT qui laisse la place à une commission dédiée du CSE, la commission santé, sécurité et conditions de travail ou CSSCT, obligatoire au-delà de 300 salariés, qui aura des prérogatives et une portée identique. Identiques en théorie, car dans la pratique, les industriels -en première ligne quant à la dangerosité des machines et des produits- en doutent. "On ne pourra plus y convier des spécialistes internes, de la maintenance notamment, qui apportaient au CHSCT leurs compétences pointues, fustige Alain Eberbecq, le DRH du groupe Poclain (moteurs hydrauliques, 900 salariés en France). Dans la logique de réduire le nombre d’élus, on va confier ces questions capitales à des néophytes, qui n’ont pas forcément un intérêt pour elles. On tue le CHSCT." Globalement, toutes les expertises accumulées au fil du temps par les membres, notamment en termes de RPS (risques psycho-sociaux), vont se perdre regrettent nombre d’élus.

La relève syndicale en péril

"Les jeunes ingénieurs nous le disent : ils ne sont pas là pour faire du syndicalisme toute la journée, car durant ce temps, ils ne font pas d’acier !", rapporte Hervé Botella chez ArcelorMittal. Leur métier d’abord ! Les élus titulaires dans le CSE, avec ses diverses commissions, devront effectivement être costauds, connaître tous les domaines de la vie de l’entreprise (dont la sécurité), pour analyser, proposer et argumenter. Bref, être des pros des IRP (instances représentatives du personnel) et donc bûcher. Dès lors, comment trouver des candidats prêts à s’investir autant, quitte à nuire un chouïa à leur carrière au profit de l’intérêt collectif ? Surtout quand les employeurs ne valorisent pas l’expérience syndicale dans l’évolution professionnelle, et qu’il est difficile de progresser après un mandat.

Et cela sans compter la règle de la parité homme-femme sur les listes électorales, qui rajoute de la complexité. "En outre, on n’a pas d’heures de délégation attribuées aux suppléants. Et comme ils n’assisteront plus aux réunions plénières, il sera difficile de les former, déplore Gilles Telal, délégué syndical CFE-CGC chez ExxonMobil France (2 950 salariés). Or il est capital d’assister aux débats pour apprendre en observant et pour s’informer. Les DRH donnent souvent des documents épurés, et les complètent dans le détail autour de la table. Ayant peur des fuites, ils préfèrent l’oral à l’écrit. En amont, il faut donc pouvoir reconstituer le puzzle pour se préparer."

Des hotlines à la place des représentants des salariés

Exit les délégués du personnel. Du coup, les interrogations ou doléances diverses des salariés "risquent d’être marginalisées ou noyées dans la masse des sujets, pressent Sébastien Saubesty délégué syndical CGT chez DutyFly Solutions (vente de produits Duty free à bord des avions, 58 salariés à Roissy). J’observe, par exemple, que dans le CSE d’une petite entreprise de bagagistes juste à côté, l’ordre du jour est construit avec la direction, qui retoque en séance les points trop opérationnels." Pourtant ces questions émanant du terrain donnent le pouls de l’entreprise. Certes, elles pourront être relayées par de nouveaux acteurs, les représentants de proximité, à condition de les instaurer (pour le législateur, il s’agit d’un point facultatif). ArcelorMittal Méditerranée, qui dans son accord s’en tient au minimum prévu par les textes, n’en a signé aucun. ExxonMobil a eu une autre idée : offrir aux salariés de poser leurs questions on line, lesquelles seront recensées et triées par les élus avant de les remonter à la DRH. Un procédé qui ne les aidera pas nécessairement à détecter les "signaux faibles" d’un dysfonctionnement, d’un ras-le-bol, ou d’un épuisement au sein des équipes.

L’agglomération illogique de CE disparates L’affaire se corse davantage au sein des sociétés qui englobent des entités autonomes, et dont le CE adapte sa politique et ses budgets aux spécificités internes. "Là il y a des chèques cadeaux et des colis gourmands, négociés avec les fournisseurs locaux ; ici, ils préfèrent les chèques vacances ; ailleurs, ce sont d’autres choix. Si on aboutit à un CSE unique, tout risque de rentrer dans le pot commun, en particulier pour les activités sociales et culturelles", explique un élu d’une société d’électronique, dont les 700 salariés en agences sont répartis sur trois sites, lesquels ont chacun leur CE, ancré dans son territoire, avec ses us et coutumes. De tels fusions ou redécoupages régionaux du périmètre des CE actuels en vue de créer les CSE, comme chez IBM-France, remettent de facto en cause les pratiques d’achat menées jusque-là, ainsi que les conventions passées avec les voyagistes et club de sports du coin par exemple, ou les critères d’attribution de logements sociaux quand ils existent. Sans compter des cartographies absurdes qui entravent les mobilités géographiques et les mutations inter-sites.

La perspective de réunions interminables S’il y a un point qui ennuie vraiment les DRH, hormis la sécurité, c’est de perdre du temps à faire des tours de table lors des sessions de CSE. Parce que trois instances en une, ça fait plus de monde que dans les comités d’entreprise. "Les discussions vont s’allonger. Il s’agira d’animer les réunions autrement pour être aussi efficace, estime Patrice Casenave, la DRH du groupe Schmidt (cinq usines, 1600 salariés). Il faudra faire tourner la parole, éviter que les participants ne se coupent, pousser chacun à synthétiser..." Une nouvelle habitude à prendre et à faire prendre. "C’est un risque auquel on veillera, renchérit de son côté Bruno Pavie, DRH du groupe de BTP NGE (11 000 collaborateurs). Il nous obligera à bien documenter, bâtir, et étayer nos interventions" Et parfois à trouver (aussi) des solutions pas forcément au goût de leurs interlocuteurs.

Dans des structures aux entités éclatées, des syndicats s’émeuvent de l’utilisation de la technologie. Chez IBM France, pour chacun des CSE (trois en tout), trois réunions sur douze, se dérouleront en visioconférence. "C’est mieux que le mail, une machine à embrouilles, mais on se demande comment ça se passera parce qu’à distance, on perd en qualité de la relation humaine et en compréhension", constate Frank Setruk, délégué syndical central (DSC) de la CFE-CGC. Et puis, dans les entreprises, si en plus tous les suppléants sont là - une option négociable - les réunions physiques pourraient devenir monstrueuses, générant de lourds problèmes de logistique. Au siège d’Esso SAF à Paris la Défense, pour accueillir le CSE, les salles seront trop petites, assure l’élu de la CFE-CGC Gilles Telal, "même sans les suppléants, qui ne seront pas invités". Faudra-t-il se résoudre à louer des amphithéâtres ?

Commentaire :

Même si certains employeurs, certains DRH se disent dépités par ces nouvelles dispositions imposées par le gouvernement Macron approuvées tout de même par un très grand nombre de politiques quel que soit leur bord, il n’en demeure pas moins qu’elles correspondent aux souhaits, aux vœux d’une majorité d’employeurs. Depuis cinquante ans ces derniers voulaient leur revanche sur les droits et acquis obtenus à cette époque en quelques semaines de grève ; en particulier sur les moyens que les syndicats avaient « arrachés » pour représenter et défendre au mieux les intérêts des salariés dans les instances existantes (CE, DP, CCE) mais en obtenant de nouvelles structures de représentation (Hygiène sécurité, formation, conditions de travail).

Bien sûr, ces droits nouvellement acquis correspondaient aussi à une évolution de la démocratie dans notre République. Au fil du temps dans le cadre d’une européanisation mais surtout une mondialisation galopante notamment sur le secteur économique et concurrentiel, les patrons acceptèrent de moins en moins les pouvoirs des syndicats, les droits des salariés aux travers des différentes instances mises en place. Ils n’ont eu de cesse de faire pression sur les différents gouvernements depuis une bonne trentaine d’années pour que ces derniers élaborent et votent « des contre réformes sociales », (il faut se rappeler la CSG de Rocard, les retraites et la sécurité sociale plan Juppé en 1995 etc.). Il est même arrivé comme en août 2008 que certains syndicats (CFDT, CGT collaborent tel l’accord sur la représentativité syndicale au niveau des entreprises, des branches professionnelles.

Alors ! faut il s’étonner aujourd’hui des conséquences que va engendrer la loi travail du Premier Ministre Edouard Philippe, voulue par le Président Macron et que vont subir les travailleurs et leurs représentants ; les syndicats ? Les valets que sont certain d’employeurs, de la finance internationale vont avoir les mains encore plus libres pour faire fructifier la rentabilité de leurs actions, le contre poids de la classe ouvrière s’étant allégé avec toutes ces réformes.

Les travailleurs à qui depuis un certain temps les politiques, les décideurs leur inculquent « le mirage de l’individualiste » sous de nouvelle forme de contrat (auto-entrepreneur, contrat de mission etc.) vont de plus en plus être soumis aux désidératas des donneurs d’ordre quand ils ne seront pas sous la coupe, la contrainte de la machine ou du robot ! Les relations des représentants des salariés avec employeurs vont être complètement déshumanisées (Hotline),

La corde se tend de plus en plus, le fossé des inégalités s’agrandît, la paupérisation, la pauvreté sont sur un vecteur exponentiel, malheureusement ce n’est pas spécifique à la France, on le constate partout sur la planète et cela conduit inexorablement quelque soit le continent, au populisme quand ce n’est pas au fascisme tel que l’on a connu au cours du siècle dernier et dont des relents réapparaissent à nouveau en Europe.

Avec la mise en place du CSE, la loi travail porte un coup fatal certes aux authentiques organisations syndicales (libres et indépendantes de tous les pouvoirs, de toutes les chapelles, tel que le perpétue FO) et qui sont encore les derniers remparts pour sauver notre République Laïque et démocratique mais elle porte aussi un coup aux moyens que se sont donnés les travailleurs pour se faire entendre.

Ne cachons pas que si pour les travailleurs ces possibilités de se faire entendre, de se défendre disparaissent, si les syndicats n’existent plus, demain ça peut être le chaos qui n’aura rien à voir avec des grèves à répétition ; à la grève générale, ce sera un chaos que personne ne pourra maîtriser sauf éventuellement un dictateur comme on a pu en voir par le passé. Il est grand temps que les salariés mais aussi les responsables de la nation prennent conscience de cela afin d’éviter cet hypothétique chaos dont personne ne peut connaître l’issue et les conséquences.