"La fin du téléphone fixe est susceptible de renforcer la fracture numérique’’

, par Michel DECAYEUX

le 10.09.2018 NO Orange a annoncé la fin du téléphone fixe classique, les nouvelles lignes devant désormais passer par internet. Bonne ou mauvaise décision ? Orange a annoncé la fin de la commercialisation des lignes de téléphone fixes RTC (Réseau de Télécommunications Commuté), prévue le 15 novembre prochain. Quelles seront les conséquences de cette décision ? Pour comprendre, "l’Obs" a interrogé Nicolas Roy, directeur technique des réseaux et services d’Orange France et Antoine Autier, journaliste spécialiste des télécoms pour UFC-Que Choisir.

 Nicolas Roy : ’’ un progrès évident pour les communications’’

Pourquoi décider de l’arrêt des téléphones fixes RTC ? Nicolas Roy : Cela constitue un progrès évident pour les communications, et notamment la téléphonie fixe. Le RTC est une technologie ancienne, qui date des années 1970-1980. Elle est de plus en plus difficile à entretenir. Il est important d’entamer cette transition. Les clients dont le téléphone passe par la technologie VoIP [qui passe par internet, NDLR] plutôt que RTC sont aujourd’hui deux fois plus nombreux.

Ce changement va-t-il s’accompagner de frais supplémentaires ? Non, il n’y a aucune modification à prévoir, le tarif restera le même. Vous n’avez pas à souscrire un abonnement internet, comme je l’ai entendu récemment, pour avoir un téléphone fixe. Il sera seulement accompagné d’un boîtier qui sert à décoder le signal numérique.

Justement, ce boîtier sera-t-il branché sur une prise électrique ou relié à internet, augmentant ainsi les risques de panne ? En fait, ce boîtier doit être branché au réseau télécoms, que ce soit le réseau cuivre avec la prise en T ou la fibre, et nécessitera une alimentation électrique. Lors de l’essai que nous avons réalisé depuis février en Bretagne, très peu de problèmes d’installation ont été signalés.

Ce changement ne risque-t-il pas de de nuire à certains secteurs d’activité, comme le paiement par carte ou la télésurveillance ? L’arrêt de la commercialisation des lignes RTC prévu le 15 novembre ne concerne que les clients grand public et professionnels. Les entreprises souhaitant souscrire un service particulier suivent un calendrier différent. Elles vont entamer cette transition dans un deuxième temps, vers la fin 2019. Concernant les services utilisant des lignes RTC pour ces secteurs, il existe d’ores et déjà de multiples substituts sur le marché.

Ne craignez-vous pas que ce changement déstabilise une partie des consommateurs plus âgés, peut-être moins bien formés aux nouvelles technologies ? Nous avons déjà procédé à des expérimentations sur un panel de quatorze communes en Bretagne. Cela s’est très bien passé, la transition vers l’IP n’a pas posé de problème, les clients s’adaptent très vite. Concrètement, une fois le téléphone installé, il n’y a aucune différence.

Des changements sont-ils à prévoir pour le reste des usagers ? Non. Pour les clients actuels, il n’y a pas de changement. Je le répète, ce qui change, c’est seulement la technologie pour les lignes de téléphonie fixe commercialisées aux nouveaux clients à partir du 15 novembre. Ces dernières seront construites uniquement avec la technologie VoIP. A partir de fin 2023, les lignes RTC encore existantes seront progressivement remplacées sur plusieurs années selon un calendrier validé par l’Arcep [L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, NDLR].

Antoine Autier : ’’ le nouveau fixe installé en protocole internet sera plus exposé aux pannes’’

Selon vous, l’arrêt des téléphones fixes RTC constitue-t-il un progrès ? Antoine Autier : Les plus-values immédiates sont plus qu’incertaines, mais à terme, ce changement pourrait globalement être bénéfique. Cela pourra peut-être permettre la création de nouveaux services comme l’appel groupé, impossible à réaliser sur le réseau actuel. Toujours est-il qu’il n’y avait pas non plus de problèmes majeurs sur les lignes classiques. La nécessité, pour Orange, de cette décision est plus technique et tarifaire que qualitative, car à terme l’entretien de ces lignes RTC devenait trop coûteux et aurait pu ainsi entraîner une hausse des tarifs pour les consommateurs.

Y’avait-il une réelle nécessité d’arrêter ces lignes fixes ? A court terme, non. Mais au-delà de l’arrêt du RTC, c’est le processus d’extinction du réseau en cuivre mettant fin à l’ADSL qui interroge et ne doit pas être précipité, car le maintien de la concurrence doit avant tout être assuré. Nous ne sommes pas hostiles au principe même du changement, car dans le cas contraire, cela aurait entraîné, à terme, une hausse des coûts pour les consommateurs. D’un point de vue financier, cette opération pourrait être bénéfique au client.

Craignez-vous le décrochage d’une partie des consommateurs ? Peut-être les personnes âgées moins formées à ces technologies ? Oui, il est vrai qu’un certain décrochage peut s’opérer au sein de la population. Mais dans un premier temps ce remplacement touchera seulement les nouveaux abonnés, soit souvent assez peu de personnes âgées. Cependant, cette décision est susceptible de renforcer les effets de la fracture numérique. Effectivement, le nouveau fixe installé en protocole internet sera plus exposé aux pannes, car il nécessite l’électricité et le réseau internet alors que le réseau RTC fonctionnait même sans électricité.

Pour fonctionner en permanence, ce nouveau téléphone fixe nécessite ainsi un réseau électrique de bonne qualité, comme celle d’internet, ce qui est loin d’être le cas partout en France puisque selon notre enquête réalisée l’année dernière, 7,5 millions de Français disposent d’un internet de mauvaise qualité. De plus, nous voyons que ce sont les zones rurales qui sont majoritairement touchées par ces soucis. Enfin, la double exposition du téléphone fixe à un défaut technique de la box internet, du réseau internet ou du réseau électrique pourrait avoir des conséquences dramatiques, en cas de panne, pour les personnes isolées qui disposent d’un système de télésurveillance ou téléalarme relié au téléphone fixe.