Le Medef rompt le dialogue social

, par Michel DECAYEUX

23 Janv. 2015 AFP

Sur le principe, le Mouvement des entreprises de France (Medef) et l’Union professionnelle artisanale (UPA) étaient tous proches de s’entendre avec la Confédération française démocratique du travail (CFDT) sur la fusion de toutes les instances actuelles (comité d’entreprise, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, délégués du personnel et délégués syndicaux) dans une seule, qui aurait été baptisée « conseil d’entreprise ».

Vendredi 16 janvier, la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) semblaient pouvoir s’ajouter à la CFDT, pour faire une majorité suffisante Cela devait être l’ultime séance de négociations sur la réforme du dialogue social. Mais à la surprise générale, le patronat a jeté l’éponge.

Les PME font de la résistance La CGPME n’a jamais caché son hostilité au projet d’accord sur la modernisation du dialogue social. Et le Medef était très divisé en interne. Le négociateur du Medef, Alexandre Saubot, savait que le temps jouait contre lui. En retardant par deux fois l’issue des négociations sur la modernisation du dialogue social (elles devaient se clôturer fin décembre, puis finalement mi-janvier, avant d’être encore repoussées à ce jeudi), il craignait que les inquiétudes des adhérents du Medef, en particulier des PME, n’en viennent à faire capoter les discussions.... Et c’est exactement ce qui s’est passé . « La CGPME a profité des derniers jours pour souffler sur les braises dans les PME. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour faire montée la pression chez nous », indique un responsable du Medef.

C’est vrai, la CGPME n’a jamais caché son hostilité au texte, et elle l’a fait savoir à plusieurs reprises. Introduire une forme de représentation des salariés dans les entreprises de moins de 11 personnes, fut-elle extérieure, était une ligne rouge pour elle. Un sentiment partagé par Laurence Parisot, l’ex-patronne du Medef, qui écrivait mercredi sur son compte Twitter : #TPE : il me semblerait aberrant que des Commissions paritaires puissent s’insérer ds la vie d’1 petite entreprise de 3, 5, ...10 salariés !

Certaines fédérations du Medef, à commencer par celle du bâtiment (FFB), étaient elles aussi vent debout. La FFB s’était toutefois laissée convaincre à condition qu’il n’y ait aucune ingérence de ces commissions territoriales dans les TPE, et aucun coût supplémentaire.

Un véritable épouvantail Pourquoi une telle hostilité de la part des PME ? D’abord parce que la culture du dialogue social (qui est bien différente du dialogue tout court entre patrons et salariés au jour le jour) y est quasi inexistante. Le dialogue social est souvent jugé inutile par les patrons de TPE. Voire fait figure de véritable épouvantail. « Créer des commissions paritaires territoriales revient à ouvrir une boîte de Pandore », fait valoir la CGPME. Sur un plan plus politique, la résistance de la confédération des PME s’explique aussi par l’accord national interprofessionnel de janvier 2013 sur la sécurisation de l’emploi. Cet ANI a toujours été considéré par la CGPME, bien qu’elle l’ait signé, comme un accord taillé sur mesure pour les grands groupes (qui peuvent faire des plans de sauvegarde de l’emploi plus facilement par exemple) au détriment des PME qui ont dû, en échange, accepter la généralisation des mutuelles pour leurs salariés, la mise en place des temps partiels de 24 heures et la taxation des contrats courts. Il était hors de question que se renouvelle pareil scénario pour la CGPME

« CATASTROPHE SOCIALE » La CFE-CGC, qui semblait ouverte à un accord vendredi, avait entre-temps durci sa position. Ce projet d’accord « aurait une catastrophe sociale dans toutes les entreprises », a ainsi déclaré Marie-Francoise Leflon, la négociatrice de la CFE-CGC, soudain opposée fermement à toute disparitions des CHSCT. Il faut dire que le sujet était devenu un point hautement symbolique, des pétitions appelant à leur maintien récoltant plusieurs milliers de signatures, dont celles de responsables syndicaux reconnus. Résultat : la CFDT n’a pas voulu s’engager seule avec la petite CFTC sur un texte rendu par ailleurs bancal par le refus du Medef d’en supprimer les ambiguïtés juridiques.

Un échec qui fragilise les futures réformes

La révision des accords de maintien de l’emploi paraît compromise. En se séparant sur un constat d’échec lors de la négociation sur le dialogue social , les partenaires sociaux risquent de devoir faire une croix sur toute une série de réformes. A commencer par la simplification du mille-feuille social, qui était au cœur des discussions qui ont échoué ce jeudi. L’instance unique de représentation des salariés (qui devait regrouper CE, CHSCT et délégués du personnel), la simplification des modalités de consultation et d’information, et la capacité à pouvoir dresser son propre agenda social en fonction des priorités stratégiques de l’entreprise, tout cela semble désormais enterré. Même si le gouvernement a promis ce jeudi qu’il légiférerait. C’est une occasion manquée qui pourrait ne pas se représenter de si tôt. Ceux qui croyaient poser les bases d’un nouveau dialogue social qui soit plus efficace, plus pragmatique et davantage fondé sur la négociation que sur la confrontation en sont pour leurs frais. Mais ce n’est peut-être pas le plus grave. Car derrière cette négociation, c’est toute une autre série d’évolutions, défendues par le patronat et par une partie du gouvernement, qui se trouvent compromises.

Quid du bilan de l’accord sur la sécurisation de l’emploi A commencer par la modernisation du marché du travail. Les partenaires sociaux, dans les tout prochains jours, devaient en effet faire un bilan de l’accord sur la sécurisation de l’emploi signé en janvier 2013. Pour le Medef, c’était l’occasion d’aborder un sujet sensible, celui des accords de maintien dans l’emploi, pour qu’ils ne soient plus seulement défensifs, comme le permet la loi, mais aussi offensifs. En clair, le patronat voudrait pouvoir faire varier les salaires et le temps de travail de ses salariés lorsque l’entreprise est en difficulté, mais aussi lorsqu’elle doit répondre à un appel d’offres exceptionnel ou à une montée en charge temporaire de son activité. Après l’échec de ce jeudi, il semble difficile d’imaginer que les syndicats, et notamment la CFDT, acceptent de se mettre autour d’une table pour aborder un sujet aussi délicat. Reste la négociation Agirc-Arrco (retraites complémentaires), qui doit s’ouvrir mi-février. Elle se tiendra, quoi qu’il arrive, puisqu’il s’agit d’une négociation obligatoire pour les partenaires sociaux qui sont gestionnaires de ces régimes. Mais il n’est pas sûr qu’un accord très ambitieux en découle, après le fiasco de ce jeudi

LE GOUVERNEMENT REPREND LA MAIN

Dans un communiqué, le ministre du travail, François Rebsamen, a tiré des leçons de cet échec. Les « pratiques de la négociation » qui conduisent « à toujours partir d’un texte patronal très éloigné des attentes des uns et des autres […] rend[ent] plus difficile l’émergence d’un compromis », écrit-il. M. Rebsamen assure néanmoins que le dialogue social, pierre angulaire de la méthode de réforme de François Hollande, « demeurera notre méthode pour avancer et dégager des compromis utiles au pays ». Le gouvernement avait promis qu’à défaut d’accord sur le dialogue social il reprendrait la main pour rédiger son projet de loi. L’échec étant acté, M. Rebsamen a annoncé que « le gouvernement prendra[it] […] ses responsabilités pour moderniser le dialogue social dans l’entreprise ». Manuel Valls, qui déplore que « les compromis nécessaires pour réussir cette négociation […] n’[aie]nt pas été faits », a annoncé dans un communiqué qu’il réunirait les partenaires sociaux le 19 février « pour discuter des suites à donner » : « Il appartient désormais au gouvernement de se saisir de la modernisation du dialogue social en entreprise. »

Le MEDEF regrette l’échec de la négociation et veut reprendre des discussions avec les syndicats

Le MEDEF regrette que l’ambition de modernisation et de simplification du dialogue social dans les entreprises, qu’il portait avec l’UPA, n’ait pas pu se concrétiser dans un accord puis dans les faits. Le dialogue social dans les entreprises en France est actuellement trop complexe et trop formel alors qu’il devrait être simple et pragmatique. Le président du Medef souhaite élaborer une feuille de route commune avec les partenaires sociaux Le président du Medef Pierre Gattaz propose aux syndicats de salariés de reprendre « des discussions » qui auraient « une force politique » auprès du gouvernement, au lendemain de l’échec des négociations visant à reformer le dialogue social. M. Gattaz propose « aux partenaires sociaux » de se « retrouver dans quelques semaines pour reparler du sujet » afin d’« aboutir, si cela est possible, à une feuille de route commune ». « Un tel document aurait une force politique, le gouvernement ne pourrait pas l’ignorer », poursuit le patron du Medef.