UE : La drogue et la prostitution dans le calcul du PIB européen

, par Michel DECAYEUX

2 et 5/6/14 La croix et le monde

Les pays membres de l’Union européenne sont invités à inclure les activités liées à la drogue et à la prostitution dans le calcul de leur Produit intérieur brut (PIB). Suivant les pays, ces activités sont légales ou prohibées

L’institut statistique communautaire européen Eurostat, a demandé l’an dernier aux États membres de l’Union européenne de prendre en compte les activités illicites dans le calcul de leur Produit intérieur brut (PIB). Il considère en effet que ces activités créent de la richesse dans ces pays. C’est la question que se sont posée plusieurs pays récemment, alors que les nouvelles normes du Système européen des comptes (SEC 2010) préconisent d’ajouter dès septembre prochain les activités souterraines dans le calcul du produit intérieur brut (PIB), qui mesure l’activité économique d’un pays et sa création de richesse.

Pour la Commission européenne, qui a fait des calculs prédictifs, les pays qui seraient les plus touchés seraient la Finlande et la Suède, en partie parce que le changement dans le calcul du PIB inclut également la prise en compte des dépenses de recherche et développement (R&D) comme investissement et donc comme partie intégrante du PIB.

La drogue et la prostitution sont légales dans certains pays européens

La prostitution et la vente de drogues sont légales dans certains pays européens. Ces derniers prennent déjà en compte ces activités, ce qui augmente d’autant leurs PIB. Leur contribution au budget européen s’en trouve réévaluée, puisqu’il est calculé en fonction de ce PIB. Dans d’autres pays, comme la France, la prostitution et la consommation de drogues ne sont pas légales. La prise en compte de ces activités illégales est prévue par des règles européennes, dans le but de comparer les économies des pays membres de l’Union Européenne. Pour mesurer les revenus issus de la prostitution, les statisticiens doivent par exemple prendre en compte le coût de la location des lieux de prostitution, les achats de préservatifs et de « vêtements de travail ».

0,4 % du PIB néerlandais

L’exemple néerlandais est le plus connu. La drogue et la prostitution, légales, auraient représenté en 2010 une valeur ajoutée de 2,6 milliards d’euros, soit 0,4 % du PIB. Le commerce de cannabis est légal aux Pays-Bas. La consommation des autres drogues, illicites, comme l’héroïne ou la cocaïne sont également prises en compte. Cette consommation est estimée à partir du nombre d’utilisateurs, d’une consommation moyenne et du cours connu de ces drogues. La prostitution étant légale, les prostitués sont tenus de déclarer leurs revenus au fisc néerlandais.

Prise en compte britannique en septembre

Au Royaume-Uni, les revenus générés par le trafic de drogue et la prostitution seront intégrés en septembre dans le calcul du PIB. Ces deux activités pourraient doper le produit intérieur brut de 10 milliards de livres (12,3 milliards d’euros), à en croire les estimations de l’Office national des Statistiques (ONS) des évaluations officielles. Un peu plus pour la prostitution que le trafic de drogue. Les statisticiens ont évalué à 58 000 le nombre des prostituées au Royaume-Uni et à entre 20 et 30 le nombre de leurs clients hebdomadaires. En ce qui concerne le trafic de drogue, l’ONS prend en compte la production et la vente de crack, de cocaïne, d’héroïne, de cannabis, d’ecstasy et d’amphétamines.

« Produit criminel brut » contre déficit

Le Royaume-Uni a estimé que les revenus issus du trafic de drogue et de la prostitution pourraient gonfler le PIB d’un peu moins de 1 % chaque année. Pour l’Italie, l’« économie criminelle » ferait passer la croissance italienne de 1,3 à 2,4 % en 2014. Une bonne surprise en période d’austérité budgétaire ; en effet, le déficit diminue à proportion que le PIB se ragaillardit. L’Espagne, les Pays-Bas, l’Autriche, l’Estonie, la Finlande, la Norvège, la Slovénie ou la Suède, intègrent déjà, eux aussi, les revenus de la prostitution et/ou de la drogue, dans l’activité économique. En réalité, cette approche n’est pas nouvelle : « Des estimations du poids économique de ces activités illégales sont déjà incluses dans le calcul du PIB depuis de nombreuses années, mais des améliorations et harmonisations méthodologiques sont apportées et devront être appliquées à compter septembre pour une mesure plus fine et plus comparable de celles-ci », précise Eurostat. En effet, la version de 1995 comportait déjà l’inclusion des activités illégales dans le calcul du PIB. « Les activités économiques illégales ne sont considérées comme opération qu’à partir du moment où toutes les unités concernées y participent de commun accord. Dès lors, l’achat, la vente ou l’échange de drogues illicites ou d’objets volés constituent des opérations, alors que le vol n’en est pas une », précise le document communautaire. Economie souterraine contre économie parallèle L’Insee, l’institut des statistiques français, dans son exégèse des recommandations européennes, exclut en revanche la drogue (en raison de la dépendance que sa consommation implique), mais aussi la prostitution (en raison de l’implication de réseaux d’exploitation En revanche, les comptes nationaux incorporent dans leurs estimations des redressements pour tenir compte de l’activité dissimulée, dont le poids oscille entre 3 et 4 % du PIB. L’illustration ci-dessous explique la place dévolue à l’économie « au noir » (ou parallèle) par rapport l’économie souterraine, qui inclut les activités illicites.

Fortes disparités européennes

Pour le professeur à l’université Johannes Kepler de Linz, Friedrich Schneider, « la prostitution est une activité de services, cela participe à la création de valeur ». Mais le trafic de drogue et les activités « ouvertement criminelles » n’ont rien à faire dans l’estimation de l’économie parallèle, qu’il définit comme la part non déclarée de transactions elles-mêmes légales. Le chercheur autrichien compile depuis plusieurs années les chiffres de l’économie parallèle en Europe dans le cadre d’une étude sponsorisée par l’entreprise de cartes bleues Visa (les échanges non traçables se font la plupart du temps en liquide, alors que les échanges financiers informatiques peuvent être suivis). L’universitaire estime que l’économie souterraine sans les activités illégales, donc essentiellement le travail dissimulé (prostitution plus travail au noir), pèse en 2014 l’équivalent de 18,6 % du PIB de l’Union européenne, avec de fortes disparités, comme le montre l’infographie qui suit