Des nuits en heures sup’ à la pelle à l’Institut Curie

, par Michel DECAYEUX

Miroir social 21 juin 2012

Les études convergent pour confirmer que le travail de nuit est cancérogène mais à l’Institut Curie, un centre de recherche et de traitement pourtant spécialisé sur le cancer, le personnel infirmier cumule les nuits en heures sup’. Retour sur les raisons de cette contradiction majeure en termes de prévention des risques, qui souligne à quel point l’organisation du travail n’est pas adaptée. Les femmes qui travaillent de nuit augmente de 30 % le risque de développer un cancer du sein, confirme une étude française publiée le 19 juin dans l’International Journal of Cancer. Le caractère cancérogène de cette profonde perturbation biologique n’est pas une découverte. Il avait notamment déjà transpiré fin 2010 de l’étude CECILE, conduite, toujours en France, sur une population d’infirmières. Harmonisation de la pénibilité Les nuits, elles continuent de les enchaîner, les infirmières des deux centres de soins de l’Institut Curie, une fondation spécialisée dans la recherche et le traitement du cancer. Et la toute récente harmonisation des règles du travail de nuit entre l’établissement d’Orsay à Paris et l’hôpital René-Huguenin (Saint-Cloud) n’y change rien. C’est un volant d’une bonne vingtaine de nuits payées en heures supplémentaires qui va être accordé et s’ajouter au nouveau contrat de travail du personnel infirmier de nuit, qui prévoit 123 nuits par an, sur une amplitude de 12 heures (20h00 - 8h00). « Cette amplitude de 12 heures permet de faire 35 heures en 3 nuits mais conditionne un mode de vie particulier qui entraîne une pénibilité particulière », précise Nelly Le Peltier, déléguée syndicale centrale FO de l’Institut. C’est ainsi qu’une grande parie du personnel de nuit ne réside pas en Île-de-France. Les infirmières viennent de Lille, du Mans... • Jusqu’alors, le contrat de travail du personnel infirmier de nuit d’Orsay prévoyait entre 129 et 131 nuits par an selon la date d’embauche tandis que du côté de l’hôpital René-Huguenin, fusionné avec l’Institut début 2010, le contrat prévoyait 119 nuits par an. Une iniquité renforcée par le fait que les infirmières de René-Huguenin ajoutaient au moins une vingtaine de nuits en heures sup’ contre « seulement » une petite dizaine pour les infirmières d’Orsay.

« C’est sous la pression que la direction s’est engagée sur la voie de l’harmonisation du travail de nuit entre les deux sites », souligne Nelly Le Peltier. Il lui faudra lancer un préavis de grève en novembre 2011 pour amener la direction à concevoir que le contrat de base d’Orsay devait s’aligner à la baisse du nombre de nuits à réaliser sans bien entendu de baisse salariale... Les infirmières d’Orsay obtiennent immédiatement le paiement en heures sup’, équivalent à 10 ou 12 nuits, avant que la négociation de l’harmonisation s’engage pour déboucher sur un socle commun à 123 jours. L’occasion de faire plus de nuits supplémentaires pour le personnel d’Orsay, l’occasion d’en faire moins pour celui de Saint-Cloud qui voit au passage le socle de base du contrat de travail augmenter de 4 jours. Contradiction totale « Nous sommes très conscients de la pénibilité du travail de nuit et de ses conséquences sur la santé mais le personnel demande à faire des nuits supplémentaires pour gagner plus ! Nous sommes donc dans la contradiction totale, écartelés entre la pénibilité certaine de ce travail de nuit et la demande expressément formulée des soignants de nuit qui demandent à travailler davantage. Faute de recrutements, la direction accepte d’aggraver cette pénibilité », affirme Nelly Le Peltier. La pénurie d’effectif sur les postes de nuit est patente. Quatorze postes sont vacants sur les 65 postes d’infirmières de nuit d’Orsay. Voilà qui explique le caractère incomprésible des nuits à dispatcher en heures supplémentaires. « Une organisation du travail existe dans d’autres établissements, ce qui nécessiterait l’embauche de soignants que l’on ne trouve pas sur le marché du travail », ajoute Nelly Le Peltier. Une organisation en 3 X 8 qui consisterait à faire tourner trois équipes pendant 8 heures se traduirait par la nécessité de recruter au moins 30 infirmiers de plus. Pas question pour un institut qui se retrouve en déficit depuis l’absorption de l’hôpital René-Huguenin...Des moyens financiers d’autant plus nécessaires pour rendre les postes attractifs comme s’efforce de le faire l’AP-HP avec des crèches, des aides au logement et un roulement sur le travail de nuit.

Cancer du sein : le travail de nuit impliqué AFP Publié le 19/06/2012 Considéré comme probable cancérogène en raison de son effet perturbant sur le rythme biologique, le travail de nuit entraîne chez les femmes un risque accru d’environ 30% de cancer du sein, selon une étude française publiée aujourd’hui.

Une augmentation de 30% du risque de cancer chez les femmes ayant travaillé la nuit peut être considérée comme "plutôt légère mais significative d’un point de vue statistique", indique M. Guénel, qui a dirigé l’étude publiée dans l’International Journal of Cancer.

Un tel accroissement signifie que le "risque relatif" est de 1,3 alors que "par comparaison le risque relatif de cancer du poumon chez les fumeurs est de dix", relativise-t-il. Mais le risque lié au travail de nuit est "du même ordre de grandeur" que d’autres risques connus de cancer du sein comme les mutations génétiques, l’âge tardif de la première grossesse ou les traitements hormonaux.

D’une manière générale, "toutes les études sur le travail de nuit partent de l’hypothèse d’une perturbation du rythme circadien qui entraîne une perturbation du cycle hormonal, suspectée d’entraîner un risque accru de cancer", indique-t-il. Désormais plusieurs études vont "globalement dans le sens d’une augmentation du risque de cancer liée au travail de nuit", souligne M. Guénel. "C’est un problème de santé publique qu’il faudra prendre en compte à un moment donné".

Cancer du sein : les femmes travaillant la nuit plus exposées. Dossier PDF