Interrogations des cabinets sanctionnés par le Ministère du Travail sur l’agrément d’expert CHSCT

, par Michel DECAYEUX

24 01 2012 Miroir social

Si l’agrément d’expert CHSCT 2011 s’est ouvert à des cabinets issus du conseil ou du comportemental, il s’est aussi montré plus sévère puisque 11 cabinets ont été déclassés et 11 ont tout bonnement été recalés. Parole à ceux qui, pour la plupart, ne comprennent pas vraiment pourquoi ils ont été sanctionnés.

C’est sous couvert d’anonymat que les déclassés et les recalés de l’agrément d’expert CHSCT s’expriment. Pas question qu’ils se mettent à dos toutes les parties prenantes de l’agrément : les représentants du Ministère du Travail, ceux de la commission paritaire numéro 5 du COCT (Conseil d’orientation sur les conditions de travail) sans oublier les experts de l’ANACT et de l’INRS qui conduisent une instruction technique.

En 2011, 8 cabinets ont vu leur agrément certes renouvelé mais pour 2 ans au lieu de 3 (Technologia, Cateis, Empreintes ergonomiques, Essor Consultants, FHC Conseil, GRETACT, Indigo Ergonomie, Jean-Marie Francescon). L’agrément d’Ergonomie Conseil et de Réseau Possibles PACA passe de 2 à 1 an, tandis que celui d’Ergos Ergonomie passe de 3 à 1 an.

Au total, 11 cabinets se retrouvent ainsi « déclassés » et 11 autres (ABS Sécurité, Apave Parisienne, ATI, CISST, GTIF, Imexco, MB2 Conseil, Nuance ergonomie, Orchestra Consultants, Previ Conseil, RDG Formation Conseil) perdent tout bonnement leur agrément.

Exigences renforcées

« Le groupe de travail issu de la commission spécialisée 5 du COCT, réuni une dizaine de fois pour faire évoluer la procédure d’agrément des experts CHSCT, avait comme objectif de légitimer l’expertise CHSCT et d’offrir aux CHSCT des prestations de qualité. Ainsi, le décret n° 2011-1953 du 23 décembre 2011 renforce les exigences à l’égard des demandeurs de l’agrément en ce qui concerne leurs compétences et les règles déontologiques qui s’imposent à eux », explique Catherine Dubois Gaillard en charge du pilotage de la procédure de l’agrément d’expert CHSCT à la direction générale du travail. La nouvelle procédure prévoit donc désormais deux sessions de candidatures et de renouvellement par an au lieu d’une, un agrément dont la durée maximale passe de 3 à 5 ans avec une logique de contrôle continue. Les 6 critères d’évaluation restent en revanche inchangés et c’est toujours exclusivement sur dossier que les avis et les décisions finales sont rendus, sans aucune procédure contradictoire.

Un critère méthologique déconnecté de la réalité « Comment la commission intègre-t-elle la réalité des pratiques lorsqu’elle rend un avis ? Dans trop de cas, les CHSCT se placent en position d’acheter une prestation de services clefs en main avec un niveau d’implication minimum. Le protocole de l’expertise ne fait l’objet d’aucune co-construction, comme cela est pourtant prévu par les règles du recours à expertise », affirme le responsable d’un des cabinets déclassés qui estime payer le prix d’un strict respect d’un cahier des charges en partie déconnecté du réel. Quel est en effet l’intérêt d’une note méthodologique, à laquelle tient particulièrement la direction générale du travail, aussi intéressante soit-elle si les représentants des CHSCT ne se l’approprient pas ?

Une ouverture peu lisible L’ouverture de l’agrément à un cabinet de conseil en réorganisation comme IDRH ou à des cabinets, comme Stimulus ou Capital santé, issus des approches plus comportementalistes, témoigne d’une ouverture qui rend pour le coup la lecture de certaines décisions d’autant plus difficile. « Nous ne concevons pas de conduire une expertise dans la confrontation. L’agrément était pour nous l’occasion d’amener les représentants des salariés à s’impliquer dans des comités de pilotage avec les direction en dehors du strict cadre du recours à expertise », explique le représentant d’un cabinet de conseil et de formation déclassé en raison d’une démarche trop axée sur l’accompagnement.

Pas d’excés d’ergonomie Plusieurs cabinets d’ergonomie se retrouvent déclassés et ne comprennent pas qu’on leur reproche des dossiers trop axés sur l’analyse ergonomique de l’activité, une discipline historiquement valorisée dans l’agrément. « L’analyse ergonomique est essentielle pour mettre le travail en débat et pour comprendre l’impact d’une restructuration sur les conditions de travail ou les risques professionnels. Il s’agit d’une demande explicite des CHSCT et c’est sur cette base que le dialogue se crée dans le cadre de plan d’action ou de réajustements post-expertise. Cette approche est pourtant primordiale », lance un déclassé, non partisan des approches comportementales, qui fait remarquer qu’il n’est nulle part stipulé de limiter la profondeur d’une approche ergonomique qui peut se révéler gênante car elle laisse des traces potentiellement réutilisables devant les tribunaux. Elle est tout autant susceptible d’enrichir le document unique d’évaluation des risques.

Jurisprudence orale Au-delà des critères écrits de l’agrément, c’est avant tout sur les échanges informels entre les membres que se fondent les avis à la façon d’une jurisprudence orale. D’autant qu’aucun des six critères officiels ne serait à lui seul éliminatoire. Avec une décision finale qui revient au politique, sur la base d’une instruction technique complétée d’un avis paritaire, faire montre d’une totale transparence relève de la mission impossible pour la direction générale du travail. Que penser des avis défavorables sur Stimulus et Capital Santé non suivis par le ministère ou à l’inverse de cet avis favorable rendu sur le dossier de l’Apave qui sollicitait un agrément national mais qui a été retoqué par le ministère ? Il n’y a pas que parmi les déclassés et les recalés que l’on trouve des représentants de cabinets qui aspirent à une remise à plat plus profonde de l’agrément, voire à une remise en cause de celui-ci en actant le principe de la co-désignation. Mais aucun n’accepte d’afficher des positions à découvert...