Le « risque Marine Le Pen » obsède les marchés

, par Michel DECAYEUX

LE MONDE ECONOMIE | 09.02.2017

La manière dont les investisseurs voient le scrutin en France fait immédiatement fluctuer le coût de la dette.

Quelles sont les chances de Marine Le Pen de gagner l’élection présidentielle en France ? Les marchés financiers sont obnubilés par cette question aux implications considérables, non seulement en France mais aussi en Europe.

Même si une victoire d’Emmanuel Macron ou de François Fillon reste le scénario central sur lequel les spécialistes fondent leurs choix d’investissements et leurs calculs de valorisations, l’éventualité d’une élection de la candidate du Front national est de plus en plus prise en compte. Mardi 7 février, Jean Messiha – le coordinateur du projet présidentiel du FN – a réaffirmé sur Bloomberg TV, le canal d’information principal des investisseurs à travers le monde, que la sortie de l’euro était une priorité pour le parti de Mme Le Pen. « Nous avons des plans concrets », a-t-il martelé. Pendant que le responsable politique s’exprimait, un bandeau défilait en bas de l’écran rappelant que Mme Le Pen arrivait « en tête des intentions de vote au premier tour, avec 25,5 % des voix, selon un sondage IF OP ». Le matin même, le Financial Times, la bible des gérants, publiait une « une » alarmiste sur la montée de « la peur Le Pen » sur les marchés.

60 % de la dette française est dans des mains étrangères

Principal révélateur de cette nervosité, l’envolée du différentiel de taux (ou spread) entre l’OAT et le Bund à dix ans, autrement dit la prime que les investisseurs exigent pour compenser le fait que les emprunts souverains français sont perçus comme plus risqués que la dette publique allemande. Plus l’inquiétude monte sur la France, plus cette prime augmente. Alors que 60 % de la dette française est dans des mains étrangères, la manière dont la City, Wall Street ou Hongkong voient le scrutin en France fait immédiatement fluctuer les cours. Toutes les banques anglo-saxonnes ont d’ailleurs publié ces dernières semaines des études pour analyser l’éventualité d’une victoire de Mme Le Pen et son impact. JPMorgan, dans une note publiée le 3 février, estime ainsi que l’élection de la candidate frontiste entraînerait une chute de 10 % de l’euro et une montée à 200 points de base du différentiel de taux entre la France et l’Allemagne.

Onde de choc

A ce stade, les marchés estiment cette probabilité de victoire encore faible. Mercredi, ce spread est retombé à 70 points de base, alors que les rendements des emprunts souverains se détendaient dans l’ensemble de la zone euro. L’Agence française de développement (AFD) a ainsi pu placer une émission de 1 milliard de dollars à trois ans qu’elle avait préféré suspendre la veille, pour cause de forte volatilité. Le lancement officiel de la campagne de Marine Le Pen le 5 février, largement relayé par les CNBC et autres BBC, suivi le lendemain par les déclarations de M. Fillon assurant qu’il n’abandonnerait pas la course à l’Elysée, avait, en effet, provoqué une flambée de la prime de risque associée à l’OAT à 77 points de base. Par comparaison, elle avait atteint 82 points de base, en 2012, au plus fort de la crise de la zone euro (contre 10 à 20 points de base, en période calme). L’onde de choc se propage au-delà du seul marché français. « Depuis quelques jours, il y a un effet de contagion marqué sur la dette des pays périphériques de la zone euro, en particulier en Italie et au Portugal. Car si la France devait sortir de l’euro, comme le propose Marine le Pen, cela signerait l’éclatement de cette zone monétaire. L’Allemagne au contraire est vue comme un refuge », souligne Isabelle Mateos y Lago, stratège au BlackRock Investment Institute. La prime de risque sur l’Italie a également renoué avec les niveaux de 2012.

« French bashing »

Les analystes français sont appelés en permanence par leurs clients qui veulent tout savoir sur l’historique des taux de participation aux élections tricolores ou sur les règles juridiques pour convoquer un référendum. « Les marchés entérinent le fait que les élections françaises apparaissent très ouvertes, même si aucun sondage ne donne Mme Le Pen gagnante au second tour. Mais le système d’élections à deux tours, propre à la France, n’est pas compris par les anglo-saxons », explique Igor de Maack, gérant de DNCA Finance. « Il y a une grande attente des marchés pour comprendre ce qui se passe en France. Les sondages ne suffisent plus à convaincre », reconnaît Olivier Vigna, directeur des études économiques HSBC France. Certes, après le Brexit et le triomphe de Donald Trump qui ont pris par surprise les investisseurs, ces derniers se méfient. « Il y a aussi une part de “french bashing”, avec l’idée que, si le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont succombé au populisme, il n’y a pas de raison que les Français y échappent », relate un banquier londonien. C’est d’ailleurs après la victoire du candidat républicain en novembre que cette « prime Le Pen » est apparue. Elle s’était ensuite réduite après la percée de M. Fillon aux primaires de la droite et du centre, avant de s’envoler à nouveau après le « Penelopegate ».

L’Europe est de nouveau perçue comme la zone fragile

« Les investisseurs long terme étrangers ne reviendront pas tant que le vote n’aura pas eu lieu. En attendant, les opérateurs ont mis en place des stratégies où ils jouent la rumeur sur les chances de Marine Le Pen de l’emporter », relate M. de Maack, qui pronostique : « La prochaine poussée de fièvre sur la dette française pourrait venir d’une alliance entre Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. Le seul cas de figure, en effet, où Marine Le Pen puisse l’emporter serait le cas où elle aurait en face d’elle au second tour un candidat présentant un programme très à gauche du spectre électoral, ce qu’aucun sondage n’a testé à ce jour. » Le score du Parti pour la liberté (PVV) aux élections législatives du 15 mars aux Pays-Bas sera également scruté de près, comme un signe avant-coureur de l’irrésistible vague populiste en Europe. « Rappelez-vous qu’en 2005 deux référendums ont ébranlé la Constitution européenne, aux Pays-Bas et en France », écrit mercredi Bobby Vedral, spécialiste des taux chez Goldman Sachs, pour qui « beaucoup sous-estiment les chances de Mme Le Pen au second tour ».

Le paradoxe, finalement, c’est que l’Europe est de nouveau perçue comme la zone fragile au moment où la prise de pouvoir chaotique de M. Trump aurait pu concentrer l’anxiété des investisseurs sur les Etats-Unis. « Le risque politique est devenu la préoccupation numéro un des marchés. Nous avons interrogé nos clients en Asie il y a une dizaine de jours pour leur demander quelle était la région qui les inquiétait le plus. Pour le plus grand nombre d’investisseurs, la réponse a été : l’Europe », témoigne Mme Mateos y Lago.

Le Vieux Continent se retrouve ainsi de nouveau attaqué alors que son économie se porte mieux.

En 2016, la croissance de la zone euro a dépassé celle des Etats-Unis pour la première fois depuis 2008. « Les capitaux continuent à se retirer des fonds en actions européennes au moment où les indicateurs économiques se redressent, avec de bonnes surprises jour après jour. Pour nous, c’est au contraire le bon moment pour investir sur la base de valorisations attractives », assure MmeMateos y Lago.