La croissance des salaires au plus bas depuis quatre ans dans le monde

, par Michel DECAYEUX

Une hausse plus marquée en Allemagne et aux États-Unis ne compense pas le tassement des rémunérations dans les économies émergentes, constate l’Organisation internationale du travail (OIT) dans son rapport mondial.

Le rattrapage des salaires suite à la crise financière de 2008 s’essouffle. Après une reprise en 2010, la croissance réelle des rémunérations est en repli, selon le rapport de l’Organisation internationale du travail publié ce jeudi. Après une hausse de 2,5% en 2012, elles n’ont progressé que de 1,7% en 2015, leur plus bas niveau depuis quatre ans

« Si l’on exclut les chiffres de la Chine, où la progression des salaires a été plus rapide que partout ailleurs, le taux de croissance des salaires réel est tombé de 1,6% en 2012 à 0,9% en 2015 », souligne l’OIT. L’organisation basée à Genève constate surtout une inversion de tendance. Si dans la première phase de redressement après l’onde de choc de Lehmann Brothers, les économies émergentes tiraient à la hausse les salaires, aujourd’hui, la dynamique salariale s’est inversée au profit des économies développées. Dans les pays émergents, l’évolution des salaires réels est passée de 6,6% en 2012 à 2,5% en 2015

Recul en Amérique latine, l’Asie dynamique Dans les pays de l’OCDE, elle a grimpé de 0,2% en 2010 à 1,7% en 2015, le plus haut niveau des dix dernières années. Ce dynamisme repose surtout sur la santé économique américaine (hausse de 2,5% en 2015) et allemande (+2,8%) contre 1,1% en France et 1,9% dans l’Union européenne. « Il n’est pas encore sûr que cette évolution encourageante se poursuivre durablement car les pays développés sont confrontés à des incertitudes économiques, sociales et politiques grandissantes », nuance Déborah Greenfield, directrice générale adjointe de l’OIT pour les politiques. À noter, d’importantes disparités demeurent dans les économies émergentes. Si l’Asie s’en sort bien grâce à la Chine, l’Inde ou les Philippines, l’Amérique latine accuse une baisse de 1,3% en 2015, plombée par la sévère récession du Brésil, plus grande économie du sous-continent. En Europe orientale (-5,2%), la crise russe, conséquence de la forte baisse des prix du pétrole des deux dernières années, et celle de l’Ukraine, pèsent sur le niveau des rémunérations. La chute des salaires réels est spectaculaire en Russie (-9,5%) .

Au-delà des chiffres, l’OIT met en garde sur les conséquences économiques et sociales d’une stagnation des salaires : le découplage entre la croissance économique et celles des salaires risque d’alimenter la frustration des travailleurs et des familles. Sans compter l’impact sur leur pouvoir d’achat et leur consommation, « donc sur la demande globale, surtout si les salaires stagnent en même temps dans plusieurs grandes économies ».

Aggravation des inégalités salariales

L’OIT alerte aussi sur les inégalités salariales, qui se creusent, par le haut de l’échelle. « Les salaires augmentent progressivement dans l’essentiel de la distribution puis font un bond soudain pour les 10% du haut de l’échelle salariale et plus encore pour le 1% des mieux rémunérés », insistent les experts internationaux. En Europe, les 10% des salariés les mieux payés absorbent en moyenne un quart de la masse salariale, quasiment autant que les 50% les moins bien payés. L’écart est encore plus significatif dans les émergents, en particulier au Brésil, en Inde et en Afrique du Sud. Les femmes, toujours moins bien payées que les hommes En dépit d’un rattrapage ces dernières années, les femmes restent encore largement sous-payées par rapport aux hommes, surtout aux plus hauts échelons de la hiérarchie. En Europe, l’écart est en moyenne de 20%, il grimpe à 45% pour les 1% des mieux rémunérés, jusqu’à 50% entre femmes et hommes PDG. Entre autres mesures pour limiter les inégalités salariales, l’OIT met en avant le rôle des salaires minimaux et la négociation collective - préférant les accords au niveau national ou de branche qu’à celui des entreprises pour limiter la concurrence par le coût du travail - et prône aussi la régulation des rémunérations excessives.