Michel Decayeux se souvient Henri Delaplace : « anecdotes »

, par Michel DECAYEUX

Narrer en quelques lignes, quelques épisodes de la vie syndicale d’Henri, n’est pas aisé, tant le personnage, le militant, le camarade, a eu une vie très active pour défendre les intérêts de la classe ouvrière mais aussi et surtout faire valoir partout et en tout lieu avec un énorme charisme, les valeurs fondamentales du syndicalisme libre et indépendant défini par la charte d’Amiens et que perpétue Force Ouvrière.

Ma première rencontre avec Henri Delaplace est fin 1966 à Creil à l’auberge des compagnons (baraque en bois et parpaings de construction d’après guerre située à l’époque derrière la rue Albert Thomas) alors que j’étais jeune syndiqué.
J’avais été prévenu par mon secrétaire de syndicat Jean Dehainault qui m’avait dit « tu verras, il est un peu bourru, il impressionne par sa voix grave et posée mais c’est un camarade qui sait être chaleureux quand il le faut et sur qui tu peux compter en cas de difficultés ».
Nous sommes entrés dans un minuscule bureau : y était assis un homme de forte stature, de grosses lunettes sur le nez, la cigarette à la main. Sa première parole fut, « je n’ai pas beaucoup de temps ! c’est pourquoi ? asseyez vous ! »

Plus d’une heure après nous étions encore en train de converser. C’était Henri, toujours pressé de prime abord, mais curieux de savoir ce que les autres pensaient de la situation du moment.
J’ai retenu de cette première rencontre quelques phrases et conseils qui m’ont marqué l’esprit et que j’ai mis quelquefois en application, au cours de ma vie de militant.
Il m’a dit ce jour-là  : « tu veux défendre tes camarades OK très bien. Alors pour te faire respecter par ton patron quand tu iras revendiquer, tu dois être irréprochable sur le plan certes syndical mais aussi et surtout sur le plan professionnel. »
« Lorsque tu portes les revendications, que tu négocies, si ton tôlier te ’fout’ dehors par la porte, surtout tu reviens à la charge par la fenêtre, il ne faut jamais abdiquer si tu es dans ton bon droit, c’est toujours ce que j’ai fait chez Francolor. Et les directeurs m’ont toujours respectés mais aussi les "staliniens". Avec ces derniers si tu veux qu’ils te respectent pas de cadeau, y compris si besoin en faisant le coup de poing, crois-moi, après ils te respectent et je te dis cela en connaissance de cause ! »

Ces fameux "staliniens" qu’il dénommait aussi les "cosaques" étaient les militants de la CGT dont quasiment tous étaient aussi des militants du PC, tout au moins adhérents à cette époque. C’était chez lui viscéral, ce combat permanent qu’il menait contre tout ce qui représentait la doctrine, les faits et gestes du communiste, du stalinisme, mais aussi du trotskisme. Je me souviens particulièrement du congrès de l’UD de l’Oise de 1969 qui s’est tenu dans la grande salle aux boiseries du 1er étage de la ville de Clermont. [1]

Ce congrès se tenait après les événements de 1968 en France mais aussi après l’invasion en août de la Tchécoslovaquie par l’armée rouge (URSS) et l’immolation en janvier 1969 sur la place Venceslas à Prague d’un jeune étudiant, Jan Palach qui avait soif de liberté et se battait lui aussi contre l’oppression de la dictature communiste.

Jeune militant j’étais intervenu à la tribune face à cet événement pour faire part de ma réprobation face à un tel carcan. Et là quand je quittais le pupitre de la tribune, Delaplace s’est levé et m’a pris dans ses bras (ce qui n’était pas du tout son style, c’était son côté chaleureux voir paternaliste), en lançant à la salle, « il nous en faut de plus en plus dans la maison ». Pour un jeune militant qui venait de faire sa première intervention à une tribune lors d’un congrès, un tel geste vous marque.

En évoquant son aversion très forte à l’égard de ce qui représentait, à ses yeux « le communiste », je me souviens, lors de la prise de possession des locaux de l’actuelle bourse du travail en 1974 (et dont Henri Delaplace a été le principal artisan de sa construction) d’une empoignade physique mémorable d’Henri Delaplace avec le secrétaire de l’UD CGT de l’époque. La raison de cette gymnastique physique était que la CGT voulait que FO ne dispose que d’une partie du deuxième étage et non de la totalité..
Le coup de force d’Henri (qui était accompagné de 2 ou 3 camarades tout de même) a payé, puisque FO a eu tout le 2ème étage de la bourse du travail rue Fernand Pelloutier.
Du charisme Henri DELAPLACE en avait à revendre. En 1971-72 lorsque la Fédération de la chimie connue ses vicissitudes du fait d’un renégat qui voulut entraîner la dite fédération vers « un syndicalisme autogestionnaire d’accompagnement politique », il fut, à la demande d’André Bergeron l’un de ceux qui ont relevé le défi : arrêter l’hémorragie de transfuge de syndicats et relancer la fédération de la chimie en acceptant au congrès du 11 et 12 février 1972 d’être à nouveau le secrétaire général de la fédéchimie tout en restant secrétaire de l’UD et ce jusqu’à fin 1973 (congrès de Chamerolles).
Au cours de cette période il en a fait des kilomètres, des heures de train pour sillonner l’hexagone, des nuits blanches pour assurer tous ses mandats même si au niveau de l’UD il était bien épaulé par Ginette Schutz (secrétaire administrative) et Robert Santune secrétaire général adjoint à mi temps.
Je n’étais pas surpris de cette énergie pour faire vivre FO et faire valoir les positions de l’organisation. Quelques années auparavant (en 1968, au moment des événements), j’avais pu constater ce phénomène ; la 4L beige de l’UD avec Henri au pilotage « volait de piquet de grève en piquet de grève » de jour comme de nuit, 7 jours sur 7.

A cette époque et les années qui ont suivi à l’auberge des compagnons, il faut se rappeler comment il menait tambour battant les réunions de CA qui se tenaient à raison d’une par mois, quasiment. Elles commençaient à 18 ou 20 h mais ne duraient jamais plus de 1h30 - 2 heures.

Si j’insiste sur le militant attaché en permanence aux principes syndicaux et à la démocratie syndicale, je me souviens aussi d’une circonstance particulière, au congrès de 1984, la première réunion de CA nouvellement élue au congrès de Compiègne doit élire le secrétaire général de l’UD et élire le bureau.
Mais à l’issue du vote des militants au congrès, les deux prétendants au poste de secrétaire général (le sortant Xavier Vieilledent, et Jean Barbier nouveau candidat) n’étaient pas élus titulaires mais simples suppléants. Les membres de la CA furent confrontés au dilemme. Pas de candidat dans les membres titulaires, les seuls qui le sont ne sont que suppléants.
Dans l’intérêt de l’organisation, Henri suggéra à André Bergeron qui présidait la séance et aux membres de la CA, de considérer que les deux candidats potentiels soient éligibles au poste de secrétaire général ayant malgré tout été élus par le congrès, même si c’était en position supplétive.
La grande majorité les membres de la CA acceptèrent cette suggestion, convaincus par Henri Delaplace du bien fondé de cette proposition pour que l’UD FO de l’Oise perdure sans créer de problèmes majeurs à l’organisation.

Michel DECAYEUX

(M DECAYEUX a exercé de nombreux mandats syndicaux dans la fédéchimie (dont celui de secrétaire général), dans l’Union départementale de l’Oise et à l’échelle européenne et internationale)

Notes

[1l’UD avait la disposition de cette prestigieuse salle, car le secrétaire général de la mairie : Roland LUCCHESI était militant Force Ouvrière, mais aussi journaliste et ancien résistant