Droit du travail : une réforme directement inspirée de propositions du Medef et de la droite

, par Michel DECAYEUX

Le Monde.fr | 19.02 et AFP

1. L’accord d’entreprise comme standard : un souhait du Medef depuis 2012

Que dit le projet de loi ?

Le projet de loi propose une importante refonte du code du travail, avec l’insertion de soixante et un « principes essentiels », issus des travaux de la commission confiée à Robert Badinter. L’idée centrale est de définir d’une part le principe général (« ordre public »), les possibilités de négociation (« champ de la négociation collective ») et les règles qui s’appliquent à défaut d’accord (« dispositions supplétives »). Une très large place est laissée à l’accord non plus par branche d’activité, mais au sein de chaque entreprise.

Qui proposait cela ? Quant à l’idée de négocier avant tout au sein de chaque entreprise, on la retrouve parmi les idées phares de… l’UMP. Dans une proposition de loi de 2014, ceux qui ne s’appelaient pas encore Les Républicains proposaient déjà « la priorité aux accords dans les entreprises par rapport aux accords de branche. »La réforme du code du travail est demandée depuis des années par le Medef, qui n’a de cesse de souligner l’inflation d’articles dans ledit code et de proposer des réformes allant dans le sens d’une négociation entreprise par entreprise — comme par exemple dans le recueil de propositions de son président, Pierre Gattaz, « Un million d’emplois, c’est possible ».

2. Primauté aux accords d’entreprise : une vieille demande du Medef, inscrite au programme de Nicolas Sarkozy en 2012

Que dit le projet de loi ?

Le projet de loi ouvre aussi la possibilité, à défaut d’accord collectif dans l’entreprise, de conduire des accords individuels sur les horaires dans les entreprises de moins de cinquante salariés. La loi change aussi les règles de validité des accords d’entreprise, qui seront supérieurs aux contrats de travail, supprimant notamment la clause qui permettait à un syndicat majoritaire de s’y opposer, pour instaurer une règle de majorité (les syndicats signataires doivent représenter 50 % des salariés, à partir de 30 % ils peuvent organiser une consultation visant à valider l’accord). Autre possibilité, celle d’accords « en vue de la préservation ou du développement de l’emploi », alternative aux actuels accords de « maintien de l’emploi » qui permettent d’abaisser les salaires ou d’augmenter le temps de travail pour faire face à des difficultés. Ces nouveaux accords permettront d’aménager horaires et salaires le temps par exemple de se lancer à la conquête de nouveaux marchés.

Qui proposait cela ?

On l’a dit, la primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche est évoquée depuis longtemps par la droite. Quant au fait de prévoir de nouveaux accords « en vue de la préservation ou du développement de l’emploi » plus souples que les accords « de maintien de l’emploi », ils correspondent à un souhait du Medef. Prenant acte en 2015 du faible succès de l’accord « de maintien de l’emploi », l’organisation patronale souhaitait le modifier, notamment pour faire en sorte que le salarié qui refuse cet accord ne bénéficie pas des avantages d’un licenciement économique. C’est le cas dans le projet de loi. On peut également citer les « accords compétitivité emploi » de Nicolas Sarkozy en 2012, qui devaient permettre des modulations de temps de travail en fonction de l’activité. Critiqués par le candidat Hollande, qui les avait abrogés avant même leur entrée en vigueur, ils étaient réapparus sous l’appellation « accord sur l’emploi » un an plus tard.

3. Assouplissement des conditions horaires : une idée proche de celle des « accords compétitivité emploi » de la droite

Que dit le projet de loi ?

Cette négociation a également été facilitée pour les entreprises. A l’heure actuelle, on touche des heures supplémentaires lorsqu’on travaille au-delà de trente-cinq heures, avec une majoration variable, mais qui ne peut descendre sous les 10 %. Le projet de loi maintient cette limite, mais permet à l’accord d’entreprise de « surpasser » un accord de branche (une entreprise peut décider d’une majoration de 15 % des heures supplémentaires, même si dans la branche elle était fixée à 20 %, par exemple).Le projet de loi de Mme El Khomri dit : « La primauté de l’accord d’entreprise en matière de durée du travail devient le principe de droit commun. » En clair, le temps de travail pourrait être négocié entreprise par entreprise. De même, le projet augmente la limite haute du temps de travail : de quarante-quatre heures hebdomadaires et dix heures par jour, on passe à quarante-six heures (voire soixante en cas de « circonstances exceptionnelles ») et à douze heures par jour, avec la possibilité de moduler le temps de travail sur l’année et au-delà, par exemple d’imposer durant plusieurs semaines quarante ou quarante-cinq heures hebdomadaires. La loi prévoit une série d’autres dispositions, par exemple le fait de considérer l’astreinte (rester à disposition de l’entreprise en cas de besoin) comme du repos dès lors qu’on n’a pas été appelé (actuellement une astreinte est assimilée à un jour travaillé). Ou encore de dépasser le plancher de onze heures de repos quotidien par tranche de vingt-quatre heures, « en cas de surcroît exceptionnel d’activité. »

Qui proposait cela ?

Même si les mots sont choisis et même si les trente-cinq heures demeurent le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, cette proposition revient, en pratique, à en finir avec ces dernières et à laisser aux entreprises une très large souplesse dans le temps de travail. Et donc à sérieusement écorner la philosophie des fameuses « trente-cinq heures » négociées par la gauche entre 1997 et 2002. Et ici encore, on est proche de ce que prônait Nicolas Sarkozy en 2012 dans ses « accords compétitivité emploi », à l’époque combattus par la gauche.

4. Modifications des conditions de licenciement : une proposition identique à celle du Medef en 2012

Que dit le projet de loi ? Le licenciement économique sera assoupli, il pourra intervenir non seulement en cas de difficultés, comme c’est le cas à l’heure actuelle, mais aussi si l’entreprise est confrontée à des « mutations technologiques » ou doit mener une réorganisation « nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité. » En cas de licenciement « sans cause réelle et sérieuse », les indemnités que le salarié peut réclamer aux prud’hommes seront plafonnées en fonction de son ancienneté, de trois mois de salaire pour un salarié qui a moins de deux ans d’ancienneté à quinze mois pour un salarié qui est dans l’entreprise depuis plus de vingt ans.

Autre disposition : un salarié qui refuserait de se conformer à un accord d’entreprise pourrait se voir licencier pour motif personnel, et non plus pour motif économique (il ne toucherait donc plus d’indemnités).

Qui proposait cela ? De même, l’idée de plafonner les indemnités prud’homales est une revendication ancienne de l’organisation patronale. On la trouve page 34 du Livre jaune de M. Gattaz : « Sécuriser, dans des conditions satisfaisantes pour les deux parties, la rupture du contrat de travail, en introduisant un barème d’indemnités pour le salarié, par exemple en fonction de son ancienneté. »On trouve la même proposition, mot pour mot ou presque, au Medef en 2012 : « Pour faciliter l’ajustement des effectifs, nous proposons de revoir la définition du licenciement économique afin qu’elle englobe l’amélioration de la compétitivité. » Ce que fait précisément le projet de loi.

El Khomri reçoit le soutien de Berlin

La ministre de l’Emploi allemande juge « bon, juste et courageux » le projet de réforme du code du Travail français porté par Myriam El Khomri. Ce n’est pas tous les jours que l’Allemagne salue les réformes de la France. Cette fois, elle ne boude pas son plaisir. « Le dispositif que met en place Myriam El Khomri est de mon point de vue bon, juste et courageux », a déclaré vendredi Andrea Nahles, ministre de l’Emploi et des Affaires sociales à l’occasion d’une séance de travail avec sa collègue française sur la mobilité professionnelle franco-allemande.

Loi El Khomri : pour le patronat, le texte « va dans le bon sens »

Le Medef et la CGPME saluent un texte qui reprend un grand nombre de leurs préconisations, notamment sur l’assouplissement des licenciements économiques. Interrogé ce jeudi sur le contenu du projet de loi El Khomri tel qu’il a été transmis au Conseil d’Etat , le président du Medef a estimé que le texte allait « dans le bon sens » et a appelé le gouvernement à « aller jusqu’au bout, parce que les Anglais, les Allemands, les Espagnols l’ont fait, ils ont déverrouillé leur marché du travail ».

Inégalité entre grandes et petites entreprises

Un point de vue partagé par le président de la CGPME, François Asselin qui salue les mesures visant à sécuriser la rupture du contrat de travail mais regrette que le référendum d’entreprise soit réservé aux entreprises disposant d’une présence syndicale, ce qui est très rare dans les entreprises de moins de 50 salariés qui sont majoritaires parmi les adhérentes de la CGPME. « Quand vous avez dans le secteur marchand 4 % de présence syndicale, vous avez 96 % d’entreprises qui ne seront pas concernées par cette possibilité (...) Ce que l’on aimerait, si l’on parle de démocratie sociale, c’est qu’on puisse élargir le champ du référendum au niveau des PME et des TPE », a-t-il insisté. François Asselin, président du syndicat patronal CGPME, revient sur l’avant-projet de loi sur la réforme du droit du travail et détaille les pistes pour dynamiser l’activité des petits patrons. Globalement, ce texte va dans le bon sens. Je suis prudent : en droit social, une modification de virgule peut changer le sens d’un texte. Mais il a le mérite de définir de manière objective les conditions du licenciement [en précisant les motifs pouvant être invoqués] et cela, nous l’attendions depuis longtemps. Plafonner les indemnités aux prud’hommes donne également plus de visibilité aux employeurs. La CGPME craint également que l’assouplissement des 35 heures créent de nouvelles inégalités entre grandes et petites entreprises. Le texte donne en effet une grande marge de manoeuvre aux entreprises pour négocier des accords avec leurs syndicats, y compris en dérogeant à un accord de branche, notamment sur la majoration des heures supplémentaires. Cette faculté de négocier au niveau de l’entreprise, sans forcément respecter les accords de branche, fait craindre une concurrence déloyale à la CGPME entre les entreprises qui arriveront à signer des accords et les autres. « On va se retrouver dans la situation absurde où la grande entreprise aurait les moyens d’organiser le temps de travail, quand la petite entreprise serait contrainte d’appliquer directement le droit », a regretté François Asselin. L’UPA (artisans et commerçants) de son côté n’a pas encore réagi officiellement mais il est sûr qu’au moins un des points du texte, l’article 20 qui traite de la représentativité patronale et qui ne lui ait pas du tout favorable par rapport au Medef, donnera lieu à de sévères critiques de sa part.