 Un rapport enterré réhabilite la réduction du temps de travail

, par Michel DECAYEUX

le 19/07/2016 Le Monde, UN, La Croix

Que dit le rapport sur les 35 heures que l’Igas a finalement enterré ?

Des travaux insuffisamment achevés", argue le service de hauts fonctionnaires. Des conclusions dérangeantes, pensent de leur côté certains membres de l’Igas. Le rapport sur les 35 heurs fait en tout cas couler beaucoup d’encre

Le chef de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), Pierre Boissier, ne voulait pas qu’un rapport, réalisé par deux de ses pairs, soit diffusé. C’est raté. Le Monde a pu prendre connaissance de ce document d’une centaine de pages (sans les annexes), qui évalue les « politiques d’aménagement [et de] réduction du temps de travail dans la lutte contre le chômage ».

Une étude fouillée et prudente, qui parvient au constat que des dispositifs tels que les 35 heures, instaurées par les « lois Aubry » de 1998 et 2000, peuvent, sous, sur un sujet sensible politiquement et source de controverses acharnées, que le rapport avait été bloqué ? Certains membres de l’IGAS le pensent. Quoi qu’il en soit, l’affaire plonge ce service de hauts fonctionnaires dans un climat pesant.

En se lançant dans cette mission d’expertise, les deux inspecteurs des affaires sociales poursuivaient certaines conditions, contribuer à réduire le nombre de demandeurs d’emplois. Est-ce à cause de cette conclusion un objectif : soupeser « le potentiel » de création d’emplois des divers outils « relatifs au temps de travail ». Conscients que le sujet est, « depuis une quinzaine d’années », matière à « polémique », ils se sont efforcés « de reposer les termes du débat (…) de manière dépassionnée ». Durant leurs travaux, ils ont auditionné une quarantaine de personnalités qualifiées et passé au tamis la littérature disponible sur cette thématique, en scrutant les actions à l’œuvre dans d’autres pays européens....

L’inspection générale des affaires sociales a enterré un rapport jugeant que la réduction du temps de travail fournit « des pistes d’amélioration qui ne doivent pas être négligées » pour lutter contre le chômage

Le document semblait promis à la pénombre d’une armoire de l’Inspection générale des affaires sociale (Igas). Voilà pourtant le rapport sur « l’évaluation des politiques d’aménagement du temps de travail dans la lutte contre le chômage » en pleine lumière, sorti lundi 18 juillet.

Rédigé en mai dernier

Le texte d’une centaine de pages a été réalisé en mai dernier par deux inspecteurs de l’Igas. Il aurait normalement dû être remis aux ministres concernés pour nourrir leur réflexion. Son chemin s’est arrêté bien avant, la hiérarchie de l’Igas ayant décidé de ne pas autoriser sa transmission aux ministères sans en expliciter les raisons. Cet accident de parcours, très exceptionnel, a soulevé une certaine émotion au sein de l’Igas. Pour certains syndicats de l’institution, il s’agit même d’une « censure » d’autant plus contestable qu’elle porte sur un sujet éminemment sensible, au cœur de débats politiques et économiques enflammés

Polémique récurrente

Les deux auteurs du rapport soulignaient d’ailleurs eux-mêmes combien la question de la réduction du temps de travail est devenue « polémique depuis une quinzaine d’années ». À leurs yeux, pourtant, certaines évidences s’imposent. Ils reviennent d’abord sur les effets bénéfiques qu’ils jugent indéniables de la mise en place des 35 heures assurant que « les lois Aubry ont effectivement permis de créer 350 000 emplois entre 1998 et 2002 ». Toutes les études contestant cette estimation s’avèrent « peu comparables ou affectées d’une grande fragilité méthodologique », insistent-ils. Des pistes pour l’avenir

Voilà donc le bilan des 35 heures plutôt réhabilité. Le rapport se penche également sur l’avenir avec des propositions loin d’être radicales. Ceux qui y chercheraient la promotion de la semaine de quatre jours pour tous devront passer leur chemin Les auteurs jugent toutefois que la réduction du temps de travail peut créer de l’emploi « au moins à court terme » et sous certaines conditions. Ils mettent notamment en avant la nécessité de « maîtrise des coûts salariaux » qui doit l’accompagner.

Une réduction modulée et étalée

Plus qu’une nouvelle réduction générale de la durée hebdomadaire du travail, le rapport suggère d’étudier des mécanismes permettant de favoriser certains temps partiels ou une modulation au fil de la vie professionnelle. Les auteurs défendent ainsi l’idée de favoriser le temps partiel à 80 ou 90 % avec un coup de pouce financier de l’État. Ce dernier devra en échange veiller à ce que le dispositif concerne aussi bien les hommes que les femmes, alors que le temps partiel est actuellement massivement féminin. De même, le rapport suggère d’élargir les périodes d’inactivité choisie pour raison familiale, de formation ou dans le cadre d’une préretraite progressive. Tous ces dispositifs, conclut le rapport, ne permettront pas à eux seuls de « remédier au chômage de masse ». Ils peuvent en revanche y contribuer à condition que la réduction du temps de travail cesse d’être l’objet « d’un débat trop souvent biaisé et marqué par la polémique « 

Pour les syndicats, le patron de l’Igas s’élève en "autorité autonome ayant le pouvoir de sélectionner les analyses dont peuvent bénéficier les ministres". Et Mediapart de rappeler que la commission d’enquête de l’Assemblée nationale avait réhabilité en 2014 les 35 heures alors que le gouvernement prévoyait de sérieusement les assouplir dans le cadre de la loi Travail.